Sur les planches

Manifeste Rien, tout pour le théâtre !

Vous ne l’avez pas vu en 2013, année où Marseille était labellisée Capitale européenne de la culture. Vous ne le verrez pas non plus participer aux festivités de Marseille-Provence 2018, modeste resucée de cette « opération de marketing territorial » vantée par les édiles… Pourtant, depuis 2007, le collectif marseillais Manifeste Rien mène un vrai travail de fond pour mettre en scène des œuvres de sciences sociales. Et réalise avec ambition de nombreuses adaptations, dont la fameuse Histoire universelle de Marseille d’Alèssi Dell’Umbria, Le Massacre des Italiens de Gérard Noiriel ou encore La Domination masculine, d’un certain Pierre Bourdieu.

Parallèlement, le collectif mijote aussi ses propres pièces à la sauce critique sociale. Ainsi de Travailleur de la nuit, sur le cambrioleur anarchiste Alexandre Marius Jacob. Ou de La Marseillaise et cetera, qui revient sur deux épisodes lors desquels l’hymne national fut copieusement sifflé par le populo. Cerise sur le gâteau (théâtral), Manifeste Rien prolonge la plupart de ces représentations par un débat ou un atelier à destination de lycéens, d’usagers des centres sociaux ou de prisonniers.

La dernière création du collectif, Pour un nouveau système, s’inscrit dans le cadre d’un travail au long cours sur l’œuvre du romancier suédois Stig Dagerman. En 2014 déjà, Manifeste Rien avait présenté L’écrivain et la conscience, pièce inspirée des écrits de Dagerman et portant sur la responsabilité de l’artiste dans la société. Voilà que le metteur en scène Jérémy Beschon et la comédienne Viriginie Aimone remettent ça, avec un spectacle en partie issu des textes de l’écrivain suédois, mais aussi de ceux d’Aimé Césaire, de Charles Bukowski et de Philippe Léotard. Une ambitieuse tambouille, qui ne les empêche pas de se laisser une large marge d’improvisation au gré des représentations.

Tout le talent de cette compagnie est de faire du théâtre que l’on qualifierait, faute de mieux, d’engagé – sans pour autant tomber dans le pédant ou le soporifique. À rebours des codes contemporains dominants, l’écriture, la mise en scène et le jeu des acteurs privilégient les pratiques de la comedia dell’arte, du mime ou de l’outrance. Alliant poésie, humour et critique sociale, les spectacles atteignent souvent leur cible : susciter la réflexion politique et divertir (au meilleur sens du terme).

Pour un nouveau système ne déroge pas à la règle. Mieux, il approfondit la pratique de la compagnie, tout en donnant à Virginie Aimone l’occasion de se livrer à une étonnante interprétation des nombreux personnages, passant avec aisance et virtuosité de l’un à l’autre. Qu’elle incarne une jeune fille en lutte contre le conformisme de sa famille, un poète fustigeant les compromissions des gens de lettres, un révolté qui se heurte aux murs de la bureaucratie ou un personnage d’Almodovar, l’actrice suscite les réactions enthousiastes du public. D’autant qu’elle est parfaitement mise en valeur par les jeux de lumière et la scénographie de Cyrille Laurent.

Le rire revient souvent, mais n’entame pas la gravité du propos. Il s’agit de dénoncer un système mettant en cause l’humanité même – rien de moins. Et d’égratigner au passage ce théâtre « dévasté » qui n’échappe pas non plus à la marchandisation en cours… La compagnie Manifeste Rien renoue ainsi, sans passéisme ni nostalgie, avec la pratique d’une culture prolétarienne exigeante au profit du plus grand nombre. Le cas est assez rare pour être signalé – et salué !

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