Ça brûle

Mais qu’est-ce qui s’est passé ?

Dans notre « Ça brûle » du mois de juin, petit retour sur la (belle) soirée de nos 20 ans, à la Parole errante de Montreuil, le 20 mai dernier.

« Mais ils sont où les gens ? »

Quand la pensée me frappe, je suis en train de mettre de l’ordre dans la caisse. Je relève la tête, paumé. « C’est pourtant la fête de nos 20 ans ! Pourquoi il n’y a pas de musique ? Et pourquoi la salle est vide ? On avait pourtant tout prévu ! »

Quelque chose cloche. J’en veux pour preuve mon t-shirt trempé et mes jambes tremblotantes. Flippé, je file voir si je n’ai pas oublié d’ouvrir les portes de la salle, imaginant derrière une foule déchaînée frappant contre les barrières, n’attendant que d’entrer en furie pour nous faire notre fête.

Accourant vers la porte, je vois quelques personnes, les joues écarlates et le sourire aux lèvres, qui s’apprêtent en franchir le seuil. À peine arrivé, déjà partis ? Un des types se retourne : « Elle était incroyable votre teuf, soirée intense, quel plaisir ! ». Interloqué, je m’arrête net et regarde autour de moi. Au bar, devant une montagne de fûts de bière vides en vrac, des bénévoles aux yeux hagards s’activent au milieu d’étranges flaques. Les têtes ébouriffées et les visages suants, ils ont une drôle d’allure. Leurs doigts tremblotants d’émotions luttent pour trouver une quelconque besogne sur laquelle s’affairer, comme si s’arrêter c’était mourir. Mais il n’y a pourtant personne à servir.

Derrière le stand de CQFD, isolé entre deux immenses piles de journaux, le Vé, le visage rosé et le regard perdu, avachi sur sa chaise en plastique, semble tenter de reprendre son souffle tel un boxeur entre deux rounds. Plus loin, Adrien, les mains pleines de clés de toutes sortes. Il les scrute tel un Gollum égaré ne sachant plus laquelle est son précieux. Il semble faire la liste mentale de tout ce qu’il doit faire… puis recommence. « Mince mais c’est la jaune ou la rouge ? Oui, non… et c’est pour faire quoi déjà ? ».

« Mais bordel qu’est-ce qu’il s’est passé ! On s’est fait roulé dessus, j’ai rien compris ! » s’exclame Laurent, le visage pâle, fébrile, en me regardant dans les yeux comme s’il cherchait une forme de vie bienveillante avec laquelle interagir.

« C’est vrai ça, qu’est-ce qu’il s’est passé ? »

Et là tout me revient. Il est deux heures du mat’, on a turbiné comme des oufs, pas un instant pour nous, pas pu voir les concerts, puis j’ai eu comme un vertige…

Ce qu’il s’est passé ? Un intense vortex de fureur de vivre !

Ce qu’il s’est passé ? Un intense vortex de fureur de vivre ! Plus d’un millier de personnes ont envahi Montreuil et la Parole Errante pour une soirée mémorable. Un public tellement déter’ qu’il a accepté de passer par une entrée où il devait choisir entre le tampon « Ennemi de la classe ouvrière » ou « Clown social-démocrate », pour se planter devant un bar où toute boisson devait durement se mériter (désolé pour l’attente !). Sans parler des files devant les chiottes tellement interminables qu’on avait placardé des exemplaires de CQFD sur les murs pour tenter de faire diversion. Et puis des débats, des stands, une fanfare, une chorale, du monde partout, avec la banane. Bref, un raout du tonnerre !

Un énorme merci à La Parole Errante, aux René Binamé, aux Vulves Assassines, à toutes celles et ceux qui ont mouillé la chemise pour nous aider à tenir cette soirée, à toutes celles et ceux qui sont venu·es en profiter.

Comme un petit cadeau d’anniversaire, on a appris ce mois-ci qu’un collectif de supporters brestois s’était formé récemment contre la construction d’un nouveau stade de foot dans leur ville… inspiré par un papier paru dans nos colonnes1 ! Que notre canard serve à allumer des feux de contestation jusqu’en Bretagne, ça nous met en joie. Pourvu que ça dure encore (au moins) ces vingt prochaines années !

Affiche signée Étienne Savoye.
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CQFD n°221 (juin 2023)

Le dossier du mois met à l’honneur les daronnes. Celles auxquelles on reproche d’être trop ceci, pas assez cela, qu’on juge si facilement et qu’on excuse si difficilement, alors qu’elles sont prises en tenaille entre les injonctions du capitalisme et du patriarcat. Ici, des voix s’élèvent pour revendiquer d’autres manières d’être femmes et mères, et tracer des lignes émancipatrices pour des maternités libérées.
En hors dossier, un focus sur l’extrême droite : on aborde la fascisation encore accrue du pays avec le sociologue Ugo Palheta et la situation de Perpignan, devenue il y a trois ans la plus importante ville française dirigée par le RN. À Briançon, la forteresse Europe étend encore et toujours ses absurdes murailles. On part aussi dans le Kurdistan turc à l’heure de l’élection présidentielle, à Douarnenez pour rencontrer le collectif Droit à la ville, ou encore aux côtés des travailleur·ses détaché·es dans les exploitations agricoles des Bouches-du-Rhône. Pour finir à Draguignan, où les cathos tradis locaux organise de chouettes processions pour faire tomber la pluie. Amen.

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