Medias

Lulu l’Nantais

Le journal satirique nantais, La Lettre à Lulu, a vingt ans. Entretien avec notre complice Nicolas de La Casinière.

Lulu ? Lulu ? Qui es-tu ? Où vis-tu ?

La lettre à Lulu a été lancée – sans élan – à Nantes en décembre 1995, avec l’idée d’éviter tout ce qui ressemble à du marketing. Pas de promo de lancement, un journal quasi introuvable (deux points de vente seulement au départ), qui paraît quand il veut, sans prévenir. Depuis vingt ans, Lulu a soigneusement évité les enquêtes de lectorat, les recettes de vente des magazines, palmarès des hostos, hit-parades des écoles de management et autres marronniers.

À Marseille, on nous a dit que tu étais l’enfant caché du Canard enchaîné et du Monde libertaire, c’est vrai ?

Le trio du départ voulait, c’est vrai, tenter de faire un Canard enchaîné à la nantaise, même si ça sentait le renfermé, le notable mité et l’enfant caché. Mais c’est pas vraiment ça, on a rarement de « Gorge profonde », style Watergate, nous orientant vers des scandales locaux – même si ça peut arriver. On manque sans doute d’assiduité dans les coulisses des services décentralisés de l’État qu’on ne fréquente pas : communauté urbaine, département, région et autres assises poiliticardes qui ont leur siège ici. (On pourrait leur faucher leurs sièges, mais y a pas de roulettes). Pour le reste, le journal est libertaire sans doute, mondial pas encore, mais on préfère l’image du sale gosse qui saute dans les flaques. De temps en temps, ça éclabousse.

Lulu, comment vis-tu ?

Aujourd’hui, on commet quatre numéros sans pub par an. Les ventes se font dans deux cents kiosques de la région nantaise, plus quatre librairies, une demi-douzaine de bistrots. Tout ça permet de payer l’imprimeur et les timbres pour les envois aux 200 abonnés. Nos contributeurs sont des journalistes, des dessinateurs qui ont des boulots à côté ou sont au RSA. Tout le monde est bénévole. La rédaction n’est pas très organisée ni assemblée-généralisée. On bricole les bouclages. Pas vraiment un modèle pour les générations futures.

Sérieusement, faire un journal papier, c’est pour les vieux schnocks, non ? Tu sais comment ça marche Internet, on peut t’y trouver ?

Le canard papier, c’est quand même bien, pour lire aux cagoinces, non ? On tient aux échanges humains que permet le papier. Cela dit, avec l’âge, on s’est un peu adaptés à l’époque : on va peu sur Facebook, on alerte par mail de la sortie du journal. Concession minimale : on a un site web, où l’on trouve le numéro en cours, en téléchargement payant, et tous les précédents depuis 1995 archivés en accès gratuit. Ce qui vaut des demandes régulières de retrait ou de déréférencement d’articles anciens, au titre du droit à l’oubli. Un principe qu’on trouverait en soi légitime, mais on n’a pas tranché sur ce sujet. Il y a des demandes plus ou moins véhémentes, par voie d’avocat ou non, émanant de gens qui sentent mauvais : négationnistes, élus moisis, détenteurs de pouvoir, mais parfois aussi de victimes qui ne veulent plus qu’on puisse googliser leur histoire d’un clic. Le hic, c’est que ça nous escagasserait de faire disparaître nos archives, au bout de cinq ans par exemple, ce qu’on n’imaginerait pas dans les bibliothèques. Pas simple de trouver une mesure équitable.

Les luttes près de chez toi, c’est tes copains ou tu gardes tes distances ? Et avec les politiciens locaux, tu t’es fâché ?

On garde la distance de la proximité. La ZAD est un territoire voisin où vivent et luttent des gens qu’on aime bien. Avec les politiques, on n’a pas de relations, pas de connivences de petits-fours ou de voyages de presse qui scellent des liens. On n’a pas à se fâcher, puisqu’on n’a jamais été potes. Mais qu’on les agace, ça, c’est possible… Faudrait leur demander. Au département, il y a apparemment des ordres de ne jamais répondre à Lulu. Ailleurs, c’est plus flou.

Tu as 20 ans et toutes tes dents aujourd’hui, c’est rare pour un journal indépendant ! C’est reparti pour vingt ans ?

Notre économie minimale, facture de l’imprimeur et timbres, nous permet de continuer. On s’est pensés comme un journal éphémère qui perdure. On garde à l’esprit que ça peut s’arrêter un jour, ou que si d’autres personnes veulent reprendre, ça leur appartiendra. En attendant, tant que ça nous fait marrer de faire des pieds de nez narquois, on poursuit.

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