L’édito du 183

Les faire battre en retraite

« Désormais quand il y a une grève dans ce pays, personne ne s’en aperçoit », narguait Sarkozy en 2008. Aujourd’hui une morgue a remplacé l’autre. On est même sans doute pas loin du record de France du mépris social, du crash-test à l’échelle du pays.

« Désormais quand il y a une grève dans ce pays, personne ne s’en aperçoit », narguait Sarkozy en 2008. Aujourd’hui une morgue a remplacé l’autre. On est même sans doute pas loin du record de France du mépris social, du crash-test à l’échelle du pays. Entre un Édouard Philippe qui applique au dialogue social la formule « Cause toujours tu m’intéresses » et un Emmanuel Macron qu’on dit « isolé » et « aux abonnés absents », jusqu’à créer le malaise chez ses proches, les grévistes auraient bien tort de lâcher l’offensive après plus d’un mois de mobilisation. Sale temps pour les homards.

D’autant que c’est le grand bazar chez les barons de l’exécutif. L’honnête homme Delevoye à peine débarqué pour quelques « menus » oublis sur ses déclarations d’intérêts (« C’est ma femme qui gère l’administratif ! », s’excuse ce grand courageux), on le remplace au secrétariat d’État chargé des retraites par Laurent Pietraszewski, ancien cadre d’Auchan qui avait acquis une réputation de brutalité en mettant à pied une caissière pour une chocolatine impayée.

Outre l’opacité sur la nature et les effets réels de la réforme, qui ressemble à un joli cadeau aux fonds de pension privés, beaucoup s’interrogent sur la nécessité même du recul de l’âge de départ à la retraite, qui se ferait via la création d’un âge pivot (on peut partir avant, mais en y perdant beaucoup d’argent). Le démographe Hervé Le Bras, peu suspect de crypto-bolchevisme, s’est ainsi fendu d’une tribune dans Le Monde du 19 décembre pour démentir la nécessité qu’il y aurait à faire travailler les gens plus longtemps : « Sur les retraites, il n’y a aucune urgence à prendre des mesures d’économie. »1

On trouve d’autres arguments de poids du côté du président Macron himself, qui déclarait le 25 avril 2019, lors d’une conférence de presse : « Tant qu’on n’a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, franchement ce serait assez hypocrite de décaler l’âge légal. Quand on est soi-même en difficulté, qu’on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans ! C’est ça la réalité de notre pays. Alors on va dire, “Non, non, faut maintenant aller à 64 ans !” Vous savez déjà plus comment faire après 55 ans, les gens vous disent “Les emplois c’est plus bon pour vous !” C’est ça la réalité, c’est le combat qu’on mène, on doit d’abord gagner ce combat avant d’aller expliquer aux gens : “Mes bons amis, travaillez plus longtemps !” » Va comprendre !

Autre absurdité gouvernementale : la fin des régimes spéciaux est justifiée par une volonté d’ » universalité » (en réalité un nivellement par le bas), mais avec quelques exceptions notables. Entre autres : les militaires, les policiers, les pilotes de ligne et… les sénateurs, dont la terrible pénibilité du travail est connue de tous. Mais qu’importe les criantes contradictions et l’hypocrisie, la stratégie du pouvoir est de passer en force, façon Thatcher, épuisant ainsi les derniers espoirs de résistance sociale.

Dans l’Antiquité, l’hubris – démesure liée à la volonté de puissance individuelle au détriment du bien commun – se voyait irrémédiablement punie par le châtiment de la déesse Némésis. On ne saurait trop conseiller aux maîtres du palais d’en tirer quelques leçons. Parce qu’au regard de l’immensité du mépris social qu’ils font ruisseler au quotidien, le retour de bâton s’annonce plus que salé.


1 D’aucuns pensent d’ailleurs que cette histoire d’âge pivot ne serait qu’un os à ronger, histoire de faire passer le reste de la réforme.

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Paru dans CQFD n°183 (janvier 2020)
Dans la rubrique Édito

Par L’équipe de CQFD
Mis en ligne le 02.01.2020