Education

Les dames en rose voient rouge

Tout de rose vêtues, les « Tatas » des écoles maternelles marseillaises s’occupent des minots et du ménage. Mais, au grand dam de toute la communauté scolaire, c’est dans une logique de tambouille locale forte de clientélisme que la mairie de Jean-Claude Gaudin gère le maintien de leurs sous-effectifs.

DZ, « comme cela se prononce ». DZ, c’est le nom du collectif « pour les écoles marseillaises », comme un poil à gratter dans le dos du maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin. Ils sont une petite centaine – parents d’élèves, professeurs des écoles et agents municipaux – à être très remontés, persuadés d’être baladés par une mairie qui n’y met même plus les formes : « Depuis octobre 2012, nous travaillons pour interpeller les instances républicaines en responsabilité. Ces instances restent pour l’heure indifférentes aux témoignages portés sur les difficultés des écoles marseillaises », précisent-ils dans leur prospectus de présentation. En mars 2013, pour se faire entendre et dialoguer avec l’élue « compétente » en la matière, Danièle Casanova, 23e (sic) adjointe de la municipalité Gaudin, une délégation de contestataires était finalement rentrée de force dans les locaux de la rue Fauchier et avait crié pendant cinq minutes devant la porte close de l’édile. L’élue leur avait alors crânement répondu que la situation des écoles maternelles publiques était un « choix politique », que « les priorités de la municipalité » étaient « ailleurs ». Aujourd’hui, le collectif est reçu par les politiques de gauche, tendance verte, rose ou rouge, candidats dans les starting-blocks qui ont compris que le dossier sentait le soufre, d’autant plus sensible qu’il est à la charge de la municipalité.

Par Soulcié.

« Démerdez-vous, les filles ! » Car ce qui fâche et inquiète, ce sont les conditions d’encadrement des enfants dans les écoles maternelles publiques de la ville de Marseille. Le nombre d’Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem, ou « Tatas »), y est particulièrement faible. En 2013, la mairie parle d’un agent pour vingt enfants, mais ne prend en compte ni « l’absentéisme » ni les temps partiels. Les différents syndicats avancent le chiffre d’un pour vingt-cinq, au mieux, alors que la moyenne nationale est d’un pour seize. La situation frise l’illégalité puisque l’obligation réglementaire est d’un agent par classe. Mais le code des communes reste flou sur la question des horaires : il y a donc à Marseille un stock de « volantes », des Atsem qui passent dans la même journée d’un établissement à l’autre pour donner l’apparence de respecter la loi. Pour le reste, il faut sans doute rendre grâce à l’art de faire « à la marseillaise », la démerde pour éviter les incidents… « Marseille, c’est le système débrouille, c’est le système “Démerdez-vous les filles !” Ce qui veut dire que l’on doit pallier tous les problèmes. » Ainsi parle Malika, de la CGT– Territoriaux de la ville de Marseille.

Ici, spécificité phocéenne teintée de machisme, les « Tatas » ont double fonction : l’assistance au personnel enseignant pour la réception, l’animation et l’hygiène des très jeunes enfants et les tâches ménagères. Concrètement c’est la deuxième mission qui prend le pas sur la première. « Dans nos classes, les Atsem sont présentes au mieux 1 h 30 par jour », pointe Jean Astier, le directeur de l’école maternelle des Moulins, dans le quartier du Panier au centre-ville de Marseille : « Les instituteurs ne peuvent pas réellement compter sur leur présence et, de leur côté, les Atsem se sentent niées. » «  Dans nos missions, il y a “Comment on apprend à manger aux enfants ”. On n’a souvent qu’une possibilité, on gave les gamins », raconte « Tata Nanette ». « Quand on a un enfant qui ne sait pas manger avec des couverts – ce qui est de plus en plus fréquent avec l’accueil des enfants de 2 ans depuis la dernière rentrée –, qu’est-ce qu’on fait ? On passe devant les gamins et “on enfourne”  ! Et allez ! On fait le tour de la table, et on passe à la suivante…  »

Papier Q et fatalité. Il est vrai que sur ce dossier, on peut dresser un florilège comique – ah, l’humour marseillais, l’art de rigoler des petites fatalités apparentes – et inquiétant des manquements : on a parlé dernièrement des asticots servis dans les cantines avec le riz de Camargue. Mais ça va aussi de l’absence de cuillères – il y en a pas assez pour le salé et les desserts – à l’incapacité de surveiller et la cour et les toilettes pendant la pause cantine – « On est un adulte pour cinquante enfants, et on n’a pas les yeux partout » –, à l’absence récurrente de papier toilette. Ça prête à rire, mais le résultat se retrouve au fond de la culotte de nos petits écoliers et plus symptomatiquement dans leur apprentissage de « l’amour-propre », leur rapport au corps et à la propreté.

«  Les parents ne savent pas ce qui se passe dans l’école, affirme Malika. Dans les quartiers Nord, la plupart des parents ne rentrent pas directement dans l’école parce qu’il y a la peur de l’institution, du corps professoral. Et en face, on en profite… » « Les enfants ne sont plus en sécurité, on le voit, on le sait qu’il y a des accidents mais la mairie ne communique pas les chiffres », témoigne à son tour « Tata Françoise ».

Du côté de la mairie – où personne n’a daigné nous recevoir –, on botte en touche. En octobre 2012, dans le journal La Marseillaise, Danièle Casanova, l’élue municipale UMP, avait déclaré : « Nous n’avons pas besoin de plus de monde, si c’est pour rester assis sur une table le reste de la journée. » Un tract de Force ouvrière, syndicat ultramajoritaire de la fonction publique territoriale marseillaise, évoque pourtant « vingt embauches d’Atsem en janvier 2013 et quarante pour Pâques ». De quoi se plaint-on ? Sur cette belle avancée, même FO n’est pas dupe : « ça fait 20 ans qu’on nous balade avec les chiffres… On va en délégation, on nous sort des chiffres extraordinaires. La première fois, on repart contents. Après, on comprend que c’est pas tout à fait ça », avoue Patrick Rué, secrétaire général de FO Marseille. Et il rajoute pour calmer le débat : « Mais sur ce dossier, il y a une continuité. La situation n’a pas changé. Mairie de gauche ou mairie de droite, c’est pareil  »… Si c’est pareil, pourquoi s’inquiéter ?

Là encore, la stagnation de la situation se lit au prisme de l’héritage historique légué par le sacro-saint Gaston Defferre : comment FO pourrait raisonnablement critiquer un système qu’il a façonné en partenariat avec la mairie ? Comme dans d’autres secteurs dépendant de la gestion municipale, ce syndicat fait la pluie et le beau temps, les embauches et les augmentations. Résultat, on nage en plein brouillard, comme si la réalité n’avait pas d’importance. On peut légitimement s’interroger : pourquoi une municipalité délaisse de façon aussi débonnaire ce sujet pourtant sensible ? Une partie de la réponse se trouve peut-être dans les conséquences de cette politique, depuis que les grèves au sein des écoles publiques s’égrainent inexorablement : c’est auprès du secteur privé que nombre de parents préfèrent confier leur progéniture. Et là, la municipalité Gaudin répond présent : la subvention annuelle concédée par élève aux écoles privées maternelles a tout simplement doublé ces dernières années1. De quoi nourrir un peu mieux sa clientèle et affamer son chien, qui, de toute façon, a la rage.


1 Délibérations municipales du 19 juillet 1999 et du 16 novembre 2009.

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Paru dans CQFD n°117 (décembre 2013)
Par Suzy Ouan
Illustré par Soulcié

Mis en ligne le 24.01.2014