L’armée française en Côte d’Ivoire

Le secret de la Licorne

Le 11 avril 2011, l’ex-président Gbagbo est arrêté avec la complicité de l’armée française. Enfin un peu d’action pour ces pioupious qui, s’ennuyant dans nos anciennes colonies, s’amusent à enivrer des gosses. En 2006, Claude Kouakou, un minot de 17 ans, en est mort.
par Fabcaro

Le soir est tombé en ce 2 janvier 2006 sur la petite ville ivoirienne de Ya Kouakoukro, non loin de Bouaké, au centre de la « zone de confiance » occupée par les troupes françaises de la Force Licorne. Depuis septembre 2002, date de l’offensive d’une guérilla venue du Nord et cherchant à renverser le président Gbagbo, les forces françaises ont pris position sur une bande d’une douzaine de kilomètres de largeur scindant le pays en deux. Le but déclaré de l’opération est d’éviter la guerre civile. Et c’est au nom d’un accord de paix signé en janvier 1961 entre la France et la Côte d’Ivoire – des fois que la Côte d’Ivoire pilonnerait le Cantal ! – que notre soldatesque tient la région. Dans la population, méfiance et peur se mêlent à des petits bizness dans un climat d’espionnite. Voyant l’opportunité de récolter quelque menue monnaie auprès des militaires, des jeunes se livrent à divers petits travaux.

Ce soir-là, histoire de se divertir, des troufions lancent un défi à quelques adolescents : celui qui boira une bouteille complète de Koutoukou serait récompensé et empochera 1 000 francs CFA, soit l’équivalent d’un euro cinquante. Un jeune part chercher cet alcool traditionnel distillé à partir de vins de palme ou de jus de cacao fermentés, et titrant près de quatre-vingts degrés. Claude Kouakou a 17 ans. C’est lui qui va ingurgiter le breuvage. Défi, besoin d’argent, pression ? Très vite, l’adolescent s’effondre et sombre dans un coma éthylique. Ses copains l’entraînent vers une voie de chemin de fer, face au camp militaire, et font un feu afin de le surveiller. Au matin, devant l’état de Claude, des militaires affirment que ce dernier a simplement besoin de manger, et lui enfournent du riz dans la bouche, avant de comprendre que le jeune homme est mort. Les militaires paniquent, et proposent des bouteilles de whisky et 600 francs CFA à la famille pour s’assurer de leur silence. Mais la nouvelle se répand dans l’arrondissement et le canton. Plusieurs centaines de personnes, lycéens et habitants de la ville et de la région, se rassemblent et manifestent alors que l’armée française reste derrière les murs de ses casernements. Seul un corps de la force internationale de l’ONUCI, composé de soldats bengalis, encadre le cortège. Le 21 mars 2006, maître Fabien Ndoumou, avocat au barreau de Paris, engage une procédure visant à poursuivre les responsables de la mort du jeune Claude Kouakou.

Dans un premier temps, le procureur auprès du Tribunal des forces armées refuse de faire instruire la plainte de la famille. L’inénarrable Michèle Alliot-Marie, à l’époque ministre des Armées, parlera d’« un pari entre gamins qui a mal tourné »… Sous la pression de l’avocat, un juge d’instruction daigne entamer la procédure, mais exige une caution dite de consignation de 300 000 francs CFA. La somme, ramenée à 100 000 francs CFA, sera collectée par la famille et le village. On nomme alors un expert qui devra évaluer le degré d’alcoolémie. On cherche les militaires bengalis, rentrés dans leur pays depuis longtemps, qui ont encadré la manifestation de protestation à la mort du jeune. Mais la justice prétend rencontrer de grandes difficultés pour retrouver les militaires en poste à l’époque, ainsi que le médecin qui avait constaté le décès du jeune Ivoirien. Tous trois seront finalement auditionnés par le Tribunal des armées. Deux soldats du rang, qui assuraient la garde ce soir-là, sont soupçonnés d’« homicide volontaire et de non-assistance à huit personnes en danger. » Problème : la justice française doit travailler avec un magistrat ivoirien chargé des investigations sur place… Les élections truquées suivies de l’armement massif et soudain des partisans de Ouattara, de la guerre, des massacres, et du renversement du pouvoir ont d’ores et déjà fourni un premier bénéfice aux assassins de Claude Kouakou. « Le changement de régime va évidemment encore retarder les choses », rapporte l’avocat Fabien Ndoumou à CQFD. Justice ne peut pas être faite partout…

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4 commentaires
  • 18 juillet 2011, 17:23, par TCHATCHOU Eric

    Merci Maître pour votre courage. Certains ne feront ce que vous faites. Nous sommes tous derrière vous.

  • 22 juillet 2011, 12:37, par AMG C

    Pour un enfant de cet âge ? Quel horreur ?

  • 19 juillet 2012, 13:12

    Le sang des innocents coule à jamais sur ce monde de capitaliste

  • 30 juillet 2012, 18:10

    Quels sont les suites de cette affaire ?

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Paru dans CQFD n°89 (mai 2011)
Par Gilles Lucas
Illustré par Fabcaro

Mis en ligne le 22.06.2011