Le pouvoir de Pierre Bergé

Prenons un gars suffisamment fortuné – oui, pas vous, on sait… – pour s’offrir un beau volatile. Attention, hein, pas n’importe quel piaf rabougri. Non, un bel oiseau, tout de noir et blanc vêtu, avec une petite tache colorée là, en bas, sous le ventre (les ornithologues appellent cela un « plantu »). Un canard de référence, quoi. Voilà. Eh bien, il s’avère que la réputée bestiole – qui a tout de même coûté plus de 100 millions d’euros, c’est une somme – il s’avère, disions-nous, que cette onéreuse pintade du soir – car elle somnole une bonne partie de la journée, n’émergeant qu’en milieu d’après-midi – il s’avère, donc, que ce gothique moineau s’exclame « Roooo, le gros ballot ! Roooo, le gros ballot ! » à la vue des amis de son maître. Débourser plus de 100 millions d’euros pour se faire insulter, voilà qui est cher payé.

C’est en substance ce qui est advenu récemment au célèbre mécène Pierre Bergé, grand adorateur de François Mitterrand. Depuis le mois de juin 2010, Xavier Niel (dirigeant de Free), Matthieu Pigasse (directeur de la banque Lazard) et Pierre Bergé sont les nouveaux propriétaires du journal Le Monde, dans lequel ils devaient investir plus de 100 millions d’euros, dépossédant pour l’occasion les salariés de la majorité du capital. Or, le 10 mai dernier, Le Monde a publié un « Point de vue » de l’historien François Cusset intitulé « Critique des années Mitterrand ». Il n’en fallait pas plus : le lendemain, le directeur du quotidien, Érik Izraelewicz, recevait un mail de Pierre Bergé dont le site electronlibre.info a révélé le contenu : « Je tiens à vous faire part de mon profond désaccord avec le traitement réservé à Mitterrand dans Le Monde. Cet article immonde, à charge, digne d’un brûlot d’extrême droite est une honte qui n’aurait jamais du être publiée. […] Je regrette de m’être embarqué dans cette aventure. Payer sans avoir de pouvoirs est une drôle de formule à laquelle j’aurais dû réfléchir ! »

Pierre, si tu nous lis, nous sommes de tout cœur avec toi. Débourser plus de 100 millions pour se faire fienter dans les bottes… C’est immonde. Pierrot, à CQFD, nous avons bien réfléchi, et nous te proposons de nous faire un petit chèque de six…, allez, sept chiffres – ce n’est rien, pour toi, souviens-toi de ce que tu as offert à ces journalistes « prisonniers de leur idéologie ». En contrepartie, nous écrirons dans l’ours, en page deux et en lettres d’or : « Monsieur Pierre Bergé, finançant ce journal à hauteur de [Alors, Pierrot ? Combien ?] euros, se voit octroyer le pouvoir de nous empêcher d’enquêter sur tout ce qui lui est cher. Par exemple, vous ne lirez jamais ici : “On doit [à François Mitterrand] l’abandon par la gauche des classes populaires”, comme on a pu l’écrire ailleurs. » Voilà. Qu’en penses-tu ? C’est tout de même plus honnête que de faire croire à la liberté de la presse alors qu’il ne s’agit que de liberté d’entreprendre, non ?

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