Cap sur l’utopie

Le plaisir sexuel, le minimum vital

J’ai sous les yeux le Mélanges offerts à René Schérer des éditions L’Harmattan, un titre bien bécassot. La quatrième de couverture n’est pas plus jojo. On y indique que ce Schérer de 95 balais a trempé dans la fondation du département de philosophie de l’unif de Vincennes, ventre de bœuf !, qu’il s’est encanaillé avec Foucault, Deleuze, Châtelet, Rancière et quelques autres grands druides de la pensée bouffie, qu’il a opté pour entrer en littérature pour des sujets aussi rigolboches que Husserl et Heidegger.

Il n’empêche, les mimiles, que René Schérer, c’est par ailleurs un zigue vraiment à la coule à qui on doit les meilleures études enflammées sur les clés de voûte du nouveau monde ludico-amoureux selon Charles Fourier et qui a eu partie liée, et parfois très très liée, avec les fouteurs de bordel de Mai-68 ou le fortiche agitateur Guy Hocquenghem. Dans l’hommage se voulant « zigzaguant » rendu aujourd’hui à René Schérer (le frangin d’Eric Rohmer soit dit en passant) par une escouade de super-cracks captivants ou casse-burettes, on peut épingler  :

■ L’historien british Jonathan Beecher qui nous rappelle que Fourier n’est pas seulement le précurseur du socialisme scientifique, mais qu’il est aussi celui du surréalisme, de la psychanalyse, du féminisme (je préciserais, moi, du surréalisme dadaïsant, de la psychanalyse sauvage, du féminisme queercore). Un des points de départ des phalanstères fouriéristes  : on garantit à chacun un minimum érotique vital « quel que soit son âge et si bizarres que soient ses penchants et désirs ». Et ça se corse fort vite féeriquement. « Il y a même une classification des orgies – y compris les orgies initiatiques et les orgies d’adieu, les orgies fortuites et les orgies bacchanales ainsi que l’orgie orchestrée dite “ quadrille omnigame ”…  » On comprend qu’épouvantés par ces appels à l’éclatement sexuel frénétique permanent, les disciples de Fourier aient préféré en nier l’existence et même cherché à détruire les manuscrits dévergondeurs.

■ La commentatrice extralucide des Œuvres complètes de Fourier (rééditées aux Presses du réel) Simone Debout qui souligne « qu’il faut prendre la transformation du monde à la racine  : les enfants avant qu’ils n’aient été broyés ou contrefaits ». L’éducation à la Fourier « doit commencer dès la naissance  : avant toute imprégnation des normes et des préjugés, on incitera les enfants non plus à obéir, à se soumettre, mais à conquérir de jour en jour leur liberté, l’accomplissement de leurs dons singuliers ». À nous, si on le désire, d’établir des connexions entre ces recommandations didactico-ludiques et l’expérience des écoles libertaires animées en France par Sébastien Faure et en Espagne par Francesco Ferrer ou avec celle des libres enfants de Summerhill. Mais en allant plus loin  : Schérer associe au droit à la parole régnant à Summerhill le droit de fermer sa gueule.

■ Ou le professeur Kakoliris d’Athènes qui s’attarde sur le splendide Éloge de l’hospitalité de René Schérer présentant «  tout acte d’hospitalité comme un acte de résistance à la dictature de l’État ». Effectivement, dans les années 1990, le ministre de l’Intérieur Jean-Louis Debré avait voulu interdire qu’on reçoive encore chez soi une « personne étrangère » sans remplir préalablement à la mairie un certificat d’hébergement. «  Pas d’utopie jalouse, réservée, spécifie Schérer, pas de société idéale possible qui ne soit pas d’abord orientée vers l’étranger et son accueil. »

■ Et le professeur Perrier de Rennes qui insiste sur l’urgence de démanteler les jardins clos civilisés et leur imaginaire pour s’ouvrir à des paysages ni bornés ni cadastrés pouvant «  accueillir des parcours de jouissance multipliant les chemins d’accès au plaisir et favorisant les échappées, les lignes de fuite ou les dispersions ».

Hé oui, les lustucrus, à nous de guerroyer impudiquement pour « la possibilisation de l’impossible », comme il dit René Schérer.

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