Ça brûle

Le grand complot de la grande loge du grand chien rouge reptilien

Le 1er juillet dernier, à 22 h, dans la dernière ligne droite du bouclage de notre dernier numéro, l’ambiance était clairement über-louche dans notre local de la rue Consolat. Pas de lumière, hormis deux candélabres chargés de bougies aux senteurs musquées. Quelques signaux cabalistiques tracés à la craie sur le mur lépreux situé derrière les bureaux du chef. Et des silhouettes encapuchonnées assises par terre en demi-cercle, avec un je-ne-sais-quoi de reptilien inscrit sur leurs faciès blafards.

L’heure était grave. On le percevait à la manière dont tournait frénétiquement entre les inquiétants participants l’instrument privilégié du culte occulte se jouant ici : une feuille comptable recouverte de chiffres obscurs soulignés de rouge, dont la lecture semblait leur insuffler un surplus de fébrilité mystique.

Perché sur un trône Ikea rouge sang, le chef ressemblait à un cosaque de l’ancien temps, avec une perfide moustache, des yeux rougeâtres et un maintien de corps trompeusement aristocratique. Se levant d’un bond, comme envoûté, il résuma la teneur du problème : « Camarades de la Société du Rouge-Chien, nos caisses sont vides, archi-vides. Comment porter au plus grand monde notre propagande anarcho-illuminato-destructrice dans ces conditions  »

Un haussement d’épaules désabusé agita les présents, comme une vague infinie s’étalant sur une planète plate. Ce n’était pas la première fois que le thème était abordé, oh que non, tant les porteurs de la Vérité sont rarement bénis par une opulence financière.

On allait en rester là, piètres conspirateurs, quand une petite voix s’éleva, comme un miaulement d’alien : « Et si... »

C’était une nouvelle recrue, tout juste intronisée dans le cénacle suprême après un passage remarqué par Radio Grenouille, où elle avait notamment décroché un entretien avec Elvis Presley. Intimidée par la robustesse des esprits rassemblés, elle n’osait formuler son idée. On la tança vertement, tant et si bien qu’elle cracha le morceau, dévoilant au passage une langue qui avait tout de celle du lézard : « Si on mentait sur le prix en couverture ? Genre on affiche 4 euros alors que le prix d’un numéro d’été est de 5 euros ? Vous imaginez la portée du truc ? Quand les gens passeront à la caisse, le code-barre affichera 5, cassant le continuum-symbiotique de la couverture. Les lecteurs deviendront fous, tiraillés entre deux vérités. L’émeute ne sera pas loin. »

Un frisson collectif nous parcourut. Oui, c’était diablement bien pensé. Primo, nos revenus exploseraient au-delà de toute espérance. Secundo, le système marchand risquerait fort d’être ébranlé jusque dans ses tréfonds par cet ingénieux tour de passe-passe.

Après quelques minutes de discussion, nous étions tous d’accord : notre société secrète du Rouge-Chien perpétuerait cet acte de foi, faussant la vérité spectaculaire-marchande sur la couverture même de notre création. Nous avons scellé notre accord en sacrifiant un pâté de foie qui traînait au frigo pendant que notre graphiste commettait l’irréparable en grignotant des chips saveur spicy. Puis nous sommes partis imprimer ce numéro maudit en chantant des psaumes cathares, plus que jamais déterminés à faire régner la terreur.

Le complot, y’a que ça de vrai.

*

(Ouais bah ça va, hein. Ça vous est jamais arrivé de vous planter ?)

((Toutes nos excuses aux lecteurs, lectrices, kiosquiers et kiosquières importunés par cet acte de pure malveillance.))

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