Dossier « La fatigue démocratique »

Le fantôme de la Commune

Par Maïda Chavak

Dans un petit opuscule qui a connu un certain succès fin 2014, on pouvait lire : « Non seulement la commune n’est pas morte, mais elle revient. Et elle ne revient pas par hasard ni n’importe quand. Elle revient au moment même où l’État et la bourgeoisie s’effacent comme forces historiques. Or c’était justement l’émergence de l’État et de la bourgeoisie qui avait sonné le glas de l’intense mouvement de révolte communaliste qui secoua la France du XIe au XIIIe siècle 1. » Ce long mouvement « communaliste » – bien que le mot ait quasiment disparu du vocabulaire politique contemporain –, dont la Commune de Paris a été le modèle inachevé, s’est retrouvé relégué et combattu tout au long du XXe siècle par l’hégémonie des partis-États qui ont vampirisé toute l’énergie révolutionnaire.

Dans la « Commune de Oaxaca », l’occupation du parc Gezi, la révolte de la place Tahir, dans les mouvements des places en Espagne ou dans les mouvements Occupy, dans les luttes de quartiers ou la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, dans le confédéralisme démocratique du Rojava ou dans les municipios autonomos du Mexique indigène… en tant que symbole éphémère ou comme espace d’expérimentation sociale et politique, la commune hante à nouveau nos imaginaires et la perspective de s’opposer à la dépossession en cours.

Alors que l’exploitation capitaliste mondialisée, dans sa forme tour à tour coloniale, industrielle, financière et mafieuse, a atteint une échelle d’accumulation des ressources et d’exploitation sociale proprement suicidaire, la question de la commune et la revendication de la gestion par le bas des « communs » s’imposent comme l’ultime recours devant la catastrophe annoncée. Pour autant, il ne s’agit ni d’inviter au jeu électoral municipal classique, ni d’exalter un espace interclassiste de chauvinisme local, ni non plus de créer un idéal inatteignable « sur lequel la réalité devra se régler ».

À Cheràn, dans l’État du Michoacán, au Mexique, un habitant explique comment les villageois ont repris leurs affaires en main à travers les assemblées populaires, après avoir chassé les narcotrafiquants et les politiciens corrompus : « À quoi ressemblait Cheràn avant 2011 ? La dévastation de notre forêt, le meurtre, les enlèvements, l’extorsion… des maux enracinés dans notre société, non seulement à Cheràn, mais dans l’ensemble de la société. Ce que nous avons fait a été de recourir à un projet de vie contre un projet de mort. Un projet pour l’amour de la vie 2. »

Simplement parce qu’elle est l’échelle territoriale à la portée des solidarités concrètes, la commune ainsi réappropriée peut fonder des alternatives crédibles à l’État-nation et au capitalisme… tout en œuvrant pour la transversalité des luttes contre les discriminations et en plaçant l’urgence écologique au centre de l’action.

Mathieu Léonard

Pistes bibliographiques

• Pierre Bance, un autre futur pour le Kurdistan ? Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique, Noir & rouge, 2017.

• Jérôme Baschet, Clément Homs, Léon de Mattis, Oreste Scalzone, Misère de la politique – L’autonomie contre l’illusion électorale, éditions Divergences, 2017.

• Janet Bielh, Le municipalisme libertaire, la politique de l’écologie sociale, Écosociété, 2013. • Sous la direction de Cécile Gintrac & Mathieu Giroud, Villes contestées – Pour une géographie critique de l’urbain, Les prairies ordinaires, 2014.

• Pierre Dardot, Christian Laval, Commun – Essai sur la révolution au XXIe siècle, La Découverte, 2014. • Gustave Lefrançais, Étude sur le mouvement communaliste de Paris en 1871, réédition ressouvenances, 2001.

• Erich Mühsam, La République des conseils de Bavière – La Société libre de l’État, La digitale/Spartacus, 1999.

• Jacques Rougerie, Paris libre 1871, Le Seuil, 2004.


1 Comité invisible, « Omnia sunt communia », À nos amis, La Fabrique, 2014.

2 Interview filmée de Pedro Chavez par Benjamin Fernández. Voir également « Mexique : autogouvernement contre narco-État. Cheràn-la-lumineuse », CQFD n° 144.

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