Le « changement » dans la continuité

« Ça fait dix-sept ou dix-huit fois qu’on vient là… » Comme chaque samedi depuis février, les militants du 9 e collectif des sans-papiers battent le pavé place de la Bastille à Paris. Les riverains se sont habitués aux nombreux fourgons de police garés le long des trottoirs qui bloquent le rassemblement à la sortie du métro. Sur le front des régularisations, ça empire…
Par Anne Leïla Ollivier.

Lorsque CQFD se pointe à la Bastille, des CRS se tiennent en ligne à la sortie du métro pour encercler le collectif dès qu’il en sort. Si l’on veut se joindre à eux, on est prévenu : « Si vous rentrez dans le cercle, vous ne pourrez plus en sortir ! » Pur bluff pour décourager la discussion… Aujourd’hui les militants sont peu nombreux, les attaques qu’ils subissent depuis février en ont découragé beaucoup, mais les slogans sont explicites : « La droite a expulsé ! La gauche a expulsé ! Il est où, le changement ? ». Certains passants s’arrêtent pour exprimer leur solidarité, tandis que le kiosquier tout proche débarque en éructant à la face des militants qui restent calmes : « On le connaît, il est d’extrême droite. » Pourtant, une pétition a circulé parmi les commerçants du quartier, excédés par le quadrillage du quartier « face à un nombre modeste de sans–papiers inoffensifs ».

La raison de ce déploiement hebdomadaire ? Depuis cet hiver, le 9e a décidé de se mobiliser pour protester contre le durcissement des conditions de régularisation définies par la circulaire Valls du 28 novembre 2012, le blocage des dossiers en préfecture – y compris pour des personnes remplissant toutes les conditions requises –, et la continuation des rafles et de la politique du chiffre par le gouvernement – lequel a fait plus fort que Sarkozy avec 36 800 l’an passé. Pour mémoire, ce collectif créé en 1999 est un vrai trouble-fête : des milliers de manifs, des occupations en pagaille, un fonctionnement horizontal et de fortes personnalités, il a donné des aigreurs à tous les ministres de l’Intérieur. Tous ses militants disent la même chose : les promesses de campagne des socialistes aux sans-papiers ont fait long feu. Mahfoud, qui vit et travaille en France depuis treize ans, ironise : «  Hollande, c’est le changement… dans la continuation de la politique de Sarkozy – mais en pire ! »

Abdelkrim, Marocain prénommé ainsi en mémoire du révolutionnaire rifain et « régularisé sous Hortefeux », raconte que le 9e a été reçu par les porte-parole de Hollande l’an dernier : « Ils nous ont dit que ça allait changer pour les sans-papiers mais c’est que du blabla. La circulaire Valls exige des fiches de paie, c’est n’importe quoi, on sait que la plupart des sans–papiers travaillent au noir. Ils encouragent la falsification des cartes. Quand la gauche était dans l’opposition, elle voulait tout changer, elle est là et c’est pire. » À ses côtés, Ali reçoit des félicitations des camarades : il vient d’être régularisé. Il s’amuse : « Manuel Valls a dit au préfet : je ne veux pas de ces gens chez moi ! Il veut passer ses week-ends tranquille avec sa copine. »

En effet, dès le début des manifs de la Bastille, malgré le dépôt du trajet en bonne et due forme, le 9e est empêché de circuler normalement. Le parcours part de la place vers la mairie du 11e arrondissement, passant par la rue de la Roquette, non loin du domicile de Manuel Valls, rue Keller. Mais CRS ou gardes mobiles les bloquent à la sortie du métro. Le 13 avril, ils ont été brutalisés, vêtements déchirés, poussettes renversées. Le 18 mai, les hommes ont été embarqués dans des fourgonnettes, les femmes enjointes de quitter les lieux. Le 8 juin, ils ont été refoulés dans les couloirs du métro et tabassés. Le 15 juin, après la dispersion des manifestants, sept camarades discutant sur place ont été arrêtés, menés en garde à vue et ont écopé d’un rappel à la loi de trois ans. Baïja, l’une des porte-parole, explique qu’elle n’a jamais vu ça : « C’est fait pour intimider. Sous Sarko, on a fait des choses terribles, pires qu’aujourd’hui, mais on n’a jamais été réprimés comme ça. C’est grave, c’est la dictature socialiste ! »

Par Anne Leïla Ollivier.

Dans le match préfecture versus 9e collectif, cette dernière a néanmoins subi un camouflet singulier : le 21 juin, le préfet de Paris interdit la manif prévue pour le lendemain, au motif de risque de « troubles à l’ordre public ». Un recours est déposé au Tribunal administratif (TA) le soir même et le lendemain, le juge des référés estimant que le préfet a « porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de manifestation », lui enjoint de garantir au 9e collectif « l’exercice de leur liberté de manifester », et exige que la police communique les procès-verbaux. Dès la nouvelle connue, le 9e file à la Bastille, où il se heurte… à l’habituel blocage policier. « Ça veut dire, poursuit Baïja, que la préfecture s’assoit sur une décision de justice […]. Une manif quand elle est libre, on a le droit de parler aux passants, de les sensibiliser, là ce n’est pas le cas. » Invitée le lundi suivant au Sénat lors de la « cérémonie d’octroi symbolique du droit de vote et d’éligibilité des résidents étrangers non communautaires aux élections locales » organisée par deux parlementaires écologistes pour rappeler à Hollande ses promesses de campagne, Baïja saisit l’occasion d’expliquer que les étrangers font quotidiennement l’exercice de leur citoyenneté, puisque cette victoire au TA en est une pour l’ensemble des citoyens. Elle est applaudie.

C’est drôle, la France. On peut être soutenu par des commerçants, rappelé à la loi par la police et applaudi au Sénat…

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