Le Journal de Mickey

Week-end du 15 août. Toute la France s’est donné rendez-vous sur les routes, et CQFD est à l’heure. Las de rouler pare-choc contre pare-choc avec les gamins qui piaillent à l’arrière, l’on s’arrête sur une aire de repos. Et c’est là que le minot, tout sourires, dégote Le Journal de Mickey dans un présentoir. « Si, papa, j’t’jure, il faut pas payer ! » Gratuit, Mickey ? Montre ça… Pas de doute, c’est bien lui, celui que nous lisions, gamins, nous qui avions la chance de ne pas avoir des parents communistes férus de Pif Gadget. Reste ce titre, étrange : « L’autoroute passe au vert ». Étranges aussi les logos, en bas de la page : celui de Gulli, la chaîne à pâtée pour gosses, et Vinci autoroutes, le premier opérateur autoroutier européen – plus de 4 300 kilomètres – qui réunit les sociétés Autoroutes du sud de la France (ASF), Cofiroute et Escota. Si vous prenez une voie à péage dans la moitié sud et l’ouest de l’Hexagone, c’est lui qui vous dépouille à la sortie.

Page trente-trois de ce hors-série – c’est donc un hors-série –, les petits fans de la souris de Walt Disney apprendront dans un photoreportage que « Vinci s’engage à invertir massivement dans la protection de l’environnement ». De belles prairies fleuries avec, en arrière plan, au loin, un petit bout d’asphalte tout propret, illustrent cette publicité déguisée. Attention, les chérubins, Vinci « met le paquet depuis 2010 pour faire sa révolution verte ». Mais comment rendre écolo cette cicatrice de goudron où se tirent la bourre camions et voitures lancés à 130 kilomètres-heure, triomphe de la politique du tout-bagnole ? Tout simplement en installant des « télépéages sans arrêt » qui limitent la consommation de carburant, puisque l’on n’a pas à redémarrer. Purifier l’air, rien de plus facile, il suffit de ne jamais s’arrêter de rouler. Mais Vinci préserve aussi la biodiversité en construisant des ponts végétalisés – très très verts, sur les photomontages – où peuvent flâner sans risques « chevreuils, genettes, crapauds, reptiles… »

Dans les pages suivantes est présenté « un chantier exemplaire » : la construction de l’autoroute A89 « dans le Rhône et la Loire ». Mais, là encore, tout est mis en œuvre pour « préserver le milieu naturel » : « on protège les rivières », on bâtit des « maisons pour les chauves-souris » et même – de plou en plou dour – « on déplace les mares ». Cette nouvelle voie – qui chérit la nature comme Picsou l’achat compulsif – se déroulera sur cinquante-trois kilomètres, et comportera sept échangeurs, trois tunnels, deux aires et huit viaducs. Un impact « exemplaire » sur le milieu !

Étrangement, à aucun moment n’est rappelé que Jean-Louis Borloo, ministre de l’Écologie à l’époque du Grenelle de l’environnement, déclarait qu’on « n’augmentera plus la capacité routière ». Il n’est point précisé non plus que cette « révolution verte » est financée grâce au même Borloo qui, fin 2009, a prolongé d’un an la concession de Vinci autoroutes – elle pourra percevoir l’oseille des péages douze mois de plus par rapport à l’accord initial – en contrepartie de ces quelques aménagements écolos.

Grâce au Journal de Mickey, Vinci a repeint en vert ses kilomètres d’asphalte dans la tronche de nos gosses. Et tiens, puisque l’on parle de toi, remonte dans la voiture, avec ton torchon, on a encore 400 kilomètres de bouchons à se taper. Fils de con.

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