Le Chiapas s’est mis en commune

Première partie du Dossier « Ya Basta, 1994-2014 » publié dans CQFD n°118, en kiosque à partir du 15 janvier.
La vie communale est le point de départ, le centre nerveux du mouvement zapatiste. Elle est le socle sur lequel peut s’ériger un monde différent. Restaurer la vie communale revient à restaurer la relation entre les membres d’une communauté.

Depuis 1994, les zapatistes ont cherché à se faire connaître au niveau national et international. Ils ont attiré l’attention, l’intérêt et parfois même la reconnaissance. Cette relation à l’autre reposait surtout sur des idées, des souhaits, des projets de révolution, de libération nationale, d’autonomie, d’émancipation, que nous pouvions, certes partager, mais qui, pour nous, restaient tout de même sur un plan théorique et général, leur ancrage dans la réalité restant vague. La « petite école » remédie à cette absence ou ce déséquilibre. Les sympathisants ont été invités à partager l’expérience des populations zapatistes : la patiente construction d’une vie sociale autonome ou comment les peuples zapatistes ont réussi à articuler entre eux différents niveaux de gouvernement afin que l’activité politique ne soit pas séparée de la vie des gens.

Par Patxi Beltzaiz. Chiapas. 2008.
Chiapas. 2008.

La commune vise à ce que le pouvoir ne se présente pas comme une activité séparée, confisquée par quelques-uns. Ce mouvement de libération ne peut venir que de la collectivité, c’est elle qui est amenée à rétablir la relation des gens avec la pensée, avec cette pensée originelle, venue de si loin et transmise de génération en génération. Ce mouvement d’émancipation communale trouve sa source dans la culture, les valeurs, les usages, la mémoire et la cosmovision des peuples.

Pendant plus de sept ans, l’EZLN a mené campagne pour faire reconnaître les droits et la culture des peuples indiens. Une campagne pacifique faite de dialogues, de rencontres, de manifestations diverses, en vain. En février 2001, sensibles à l’ouverture que semble représenter l’élection de Vicente Fox à la présidence de la république, les zapatistes – représentés par 23 commandants plus le sous-commandant Marcos – entreprennent une longue marche1 sur Mexico pour promouvoir les accords de San Andrés. Tout au long de son périple, la Marche de la couleur de la terre reçoit un accueil enthousiaste. Forts de ce soutien populaire et d’avoir pu faire entendre leurs doléances lors d’une session du Congrès de l’Union, les zapatistes retournent au Chiapas au cours du mois de mars.

Le 25 avril, le gouvernement approuve à l’unanimité, tous partis confondus, une réforme constitutionnelle sur la question indienne. Cette réforme constitutionnelle va à contre-courant des accords de San Andrés, dont elle ignore délibérément les points capitaux. Cette réforme est la parfaite expression de la peur et du mépris de la classe politique confrontée à l’exigence des peuples. C’est une loi indigéniste, où tous les éléments qui auraient favorisé l’autonomie et la libre détermination ont été effacés. Les peuples sont considérés comme entités d’intérêt public, ils ne sont toujours pas reconnus comme sujets de droit.

Fin du dialogue avec l’État. Les peuples zapatistes commencent sans plus attendre à édifier pratiquement leur autonomie. Elle se définit par le lien qui unit étroitement l’activité politique et une activité sociale reposant sur des valeurs, comme le sens de la réciprocité, de la dignité et de l’égalité.

Chaque commune zapatiste a redéfini ses limites territoriales en fonction de critères qui lui sont propres et qui touchent à la langue parlée, à l’histoire, à la géographie, aux échanges, aux usages, à la tradition, au mode de vie. C’est en prenant en compte cet ensemble de critères permettant aux habitants de se reconnaître et de former somme toute un assortiment assez homogène de communautés, de villages et de hameaux, que furent créées les municipalités zapatistes – non par une décision venue d’en haut mais par décision des assemblées communautaires.

Ces assemblées désignent leurs représentants au conseil municipal où ils occuperont pendant deux ou trois ans, à titre bénévole, des charges dans différentes commissions (justice, santé, éducation, production…). Les zapatistes ont rendu possible cette recomposition des municipalités, alors que le découpage officiel obéit à d’autres considérations, dont la principale a trait au contrôle des populations – dans ce cas, la municipalité n’est plus que la courroie de transmission, le relais, assuré par les partis politique, entre l’État et les communautés indigènes, qui n’ont plus qu’à se plier à une autorité et à des décisions venues d’ « en haut ».

Face au processus généralisé d’érosion de la vie sociale, les zapatistes ont renforcé les institutions traditionnelles, telles que l’assemblée et le système des « charges », ainsi que le travail en commun (tequio ou faena). Ils ont d’autre part innové en prenant en compte d’autres domaines, qui étaient jusqu’à présent du ressort de l’État, ou encore laissés à l’initiative individuelle, comme l’éducation, la santé, la justice, la production et la commercialisation de certains produits destinés à l’exportation, dont le café.

Avec la création des municipalités autonomes (MAREZ2), nous avons affaire à l’expression d’un pouvoir ; ce pouvoir communal n’est pas abstrait, il n’entre pas en contradiction avec les habitus de la population. Le pouvoir est l’émanation d’une volonté commune, consensuelle ; loin de contrarier la cohésion sociale, il la renforce.

L’autonomie ne concerne pas seulement le domaine politique, celui de l’autogouvernement (c’est la partie la plus visible), elle touche aussi tout cet immense pan de la vie sociale, ignoré par les professionnels de la politique et dont on parle moins. L’autonomie concerne aussi les fêtes, les rituels, les obligations réciproques, les échanges de service, tous les usages qui ont forgé le « vivre ensemble » et, si possible, le « bien vivre ensemble ». On a tendance à ne voir que l’autonomie politique en ignorant le socle culturel (dans le sens large du terme) sur lequel elle repose.

C’est seulement à travers un mouvement de reconstruction culturelle et des valeurs sur lesquelles repose la vie communale que peut émerger une autonomie politique élargie. Au Chiapas, cette reconstruction fut encouragée et soutenue par Samuel Ruiz, évêque de San Cristobal, par son équipe et par des catéchistes indiens formés dans ce sens3. L’autonomie politique est venue après, à la suite de ce premier mouvement de reconstruction sociale et de sauvegarde des valeurs communautaires. Le pouvoir communal apparaît alors comme l’émanation de la vie commune, l’expression de l’intérêt commun. L’autonomie politique mise en avant par les zapatistes n’est qu’une étape dans un processus beaucoup plus profond de recomposition des peuples indiens en tant que peuples, en fin de compte de la recomposition d’une vie sociale sans État, sans pouvoir séparé. Nous en sommes sans doute encore loin, mais nous avons là un premier pas, le pas qui enclenche et engage tout le processus.

Légende : Patxi Beltzaiz. Chiapas. 2008.


1 Cf. La Fragile Armada, la marche des zapatistes, textes choisis et présentés par Jacques Blanc, Yvon Le Bot, Joani Hocquenghem et René Solis, Éditions Métailié, Paris, 2001.

2 Municipio Autonomo Rebelde Zapatista.

3 Cf. la préface d’André Aubry à la traduction française du livre de Guiomar Rovira ¡Zapata vive !

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1 commentaire
  • 18 janvier 2014, 01:59, par Marchy

    Je rêve que cette vision de l’autonomie et de l’autogestion puisse s’installer dans mon quartier de Pointe-Saint-Charles à Montréal. Bravo pour les 20 ans et que la révolution continue.

    • 20 janvier 2014, 07:46, par Christophe G.

      Tabernacle, Je crois qu’ à la pointe St Charles tu es plutôt gâté avec le collectif au pied du mur et la murale. Et votre printemps érable fut une belle expérience aussi.

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