Vox Poetik # 20 – Benjamin Péret

« La sueur noire des porcs »

Mortibus et inutile la poésie ? Que nenni. Cette chronique « Vox Poetik » reviendra régulièrement vous le seriner en vous proposant des extraits qui nous hérissent les chakras. Vingtième assaut, un poème de Benjamin Péret (1899-1959), surréaliste pratiquant mais aussi combattant anarchiste et ethnologue amateur, qui déchaînait sa hargne dans Je ne mange pas de ce pain-là (1936).

Tout le monde déteste Benjamin Péret. Ne nous voilons pas la face, c’est comme ça et il l’a cherché : fidèle porte-flingue d’André Breton dans la secte surréaliste, qu’il suit comme une ombre et dont il accomplit les basses œuvres, odieux petit type gros et moche, et méchant avec ça, même si ça le rend rigolo, comme sur cette célèbre photo publiée dans la revue La Révolution surréaliste et légendée : « Notre collaborateur Benjamin Péret injuriant un prêtre ». Dernièrement, la critique bourgeoise lui a aussi beaucoup reproché d’avoir défoncé le jeune Aragon, coupable d’écrire un roman, enfreinte éhontée à la cacherout surréaliste1.

Péret, c’est pourtant aussi, tandis que le même Aragon rectifiait son nœud de cravate dans le miroir des salons staliniens, un combattant de première ligne de la colonne Durruti, un spécialiste des cultes africains du Brésil, où il vit plusieurs années et où il a un fils qu’il appelle Geyser, puis un fin connaisseur des mythes mayas, au Mexique où il passe sept ans pendant et après la Seconde Guerre mondiale.

Dans la deuxième moitié des années 1920, Péret met sa haine en vers politiques et cinglants, réunis en 1936 dans Je ne mange pas de ce pain-là (réédité en 2010 par Syllepse). Curés pédophiles, militaires assassins, députés véreux, tout y passe, en gerbes de sang et en flaques de merde et de vomi. Au lieu de ceux de cette crapule d’Éluard, ce sont ces poèmes-là qu’on devrait apprendre dans les écoles. Que les enfants sachent bien qu’en politique, l’important est de savoir qui sont les méchants. Car les gentils, hein…2

Le pouvoir temporel du pape

La sueur noire des porcs
accoucha d’un pou blanc
Gras visqueux il grandit
Comme il était italien
il entreprit sa pauvre marche sur Rome
et un jour arriva au cul sale du Vatican
Ce n’était plus qu’un morpion au milieu de christs pourris
et de vierges violées par ses ancêtres

Des vierges putains qui soulagèrent leur ventre
dans la tinette du bénitier
vous naquîtes
viandes d’église suifs de confessionnal
pourritures eucharistiques
et dans le nombril de chacun de vous noir violet ou rouge
se gonfle le pou blanc
le frère de celui qui las de vomir dans son Vatican
veut désormais contaminer les voisins
avec l’encens de son ventre galeux

Et les voisins sont satisfaits
Ils s’assemblent sur son passage
déchets de légumes dans les halles vides
Et voilà l’Italie fasciste

Précédents épisodes Vox Poetik :
#1 : « Je crache sur votre argent en chien de fusil » (Gaston Miron)
#2 : Le toast de l’ami italien (Erri de Luca)
#3 : « Aux personnes qui me merveillent » (Valérie Rouzeau)
#4 : « Des têtes de fromages de tête » (Jacques Prévert)
#5 : « Paix sur la terre aux pommes de terre » (Brigitte Fontaine)
#6 : « Les dieux sont au PMU » (Kae Tempest)
#7 : « Un endroit où Billy The Kid peut se cacher quand il tire sur les gens » (Jack Spicer)
#8 : « Non, non, pas acquérir » (Henri Michaux)
#9 : « Des bêtes vivent sur nos visages » (Laura Vazquez)
#10 : « Des larmes de honte et de boue » (Boris Vian)
#11 : « Au fou, au fou ! » (Raymond Asso & Damia)
#12 : « La paix a un cancer du poumon » (Maung Day)
#13 : « On entend seulement le montagnard du Kremlin » (Ossip Mandelstam)
#14 : « Seul un insensé parle mal du vin » (Omar Khayyam)
#15 : « La poésie ne va pas à la messe » (Eugenio de Andrade)
#16 : « Le courage de cette tempête à deux flocons » (Richard Brautigan)
#17 : « Que le jour se lève, sur ce mauvais rêve » (Robert Desnos)
#18 : « Du haut de la tour, je jetterai tous les artistes » (Franco Battiato)
#19 : « Ça danse à s’en niquer les os » (Diaty Diallo)


1 En l’occurrence le cri d’amour et de douleur dont une partie du manuscrit, réchappé d’une cheminée d’un hôtel madrilène de la Puerta del Sol, a été publiée sous le titre La Défense de l’infini (Gallimard, 1986 puis 1997).

2 Sur Benjamin Péret, on peut lire l’ouvrage de Barthélémy Schwartz Benjamin Péret, l’astre noir du surréalisme (Libertalia, 2016). Les œuvres complètes de Péret ont été publiées en sept volumes chez Eric Losfeld (1971-1987) puis José Corti (1989-1995). Comme ça n’intéresse personne, elles ne coûtent pas cher. En édition courante, seul est disponible le livre dont il est question ici.

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