En ce jeudi 23 avril, alors que la froideur de la nuit jette ses dernières piqûres, une petite équipe de reporters de CQFD s’ébroue pour covoiturer en direction de Saint-Paul-lez-Durance. Ce village de 900 habitants, sis entre Sainte-Victoire, Luberon, Verdon et… le centre du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Cadarache, va être, en effet, le théâtre de la première opération escargot de son histoire. L’objectif de ce branle-bas de combat, qui mobilisera une centaine de personnes, est de bloquer, dès potron-minet, l’entrée des techniciens et ingénieurs dans le centre de Cadarache. La raison de la colère ? La direction régionale de La Poste veut en finir avec le bureau postal saint-paulais qui continue, envers et contre toutes les restructurations, à lui résister.
Fin février donc, Jean-Luc, le postier qui assure les permanences au bureau de Saint-Paul – d’ores et déjà réduites à deux heures chaque matin du lundi au samedi –, alerte la petite communauté villageoise de la fermeture dudit bureau, programmée pour juin, et son remplacement par une agence postale communale. Cette nouvelle structure serait synonyme de dégradation du service rendu aux usagers et constituerait la dernière étape avant le passage au relais postal chez un commerçant [1]. Dans la foulée d’un premier rassemblement, une pétition est lancée [2], un calendrier d’actions à mener toutes les trois semaines est établi et une association de défense du service public postal est constituée. Autour de la table de la boulangerie de Saint-Paul transformée en QG de la contestation, alors que le soleil vient de se lever, Jean-Luc prend la parole : « On s’est vite rendu compte que c’est l’ensemble du territoire qui risquait de faire les frais de cette stratégie de la Poste à l’occasion de débats publics organisés à Jouques, Peyrolles, Vinon… Partout les habitants s’inquiétaient de ce désengagement des services publics annonciateur de désertification rurale accélérée. »
Comme prévu, à 7 heures 30 pétantes, le cortège s’ébranle. Au cours de cette marche revigorante de près de quatre kilomètres, certaines discussions s’attardent sur l’importance de la présence du facteur. Bernard : « Le facteur connaît tout le monde dans le village, les problèmes de pension, de santé, d’isolement. Ce n’est pas un cliché, il reste le lien direct et permanent avec les habitants. » Le long de la route, nous pouvons entendre le concert de klaxons entonné par les employés de la zone artisanale et commerciale tandis que les automobilistes, passant dans l’autre sens, nous saluent amicalement. Même constat vers 10 heures lorsque le tractopelle et le camion-plateau, ouvrant la marche, entament leur dernier tour de rond-point devant le centre de Cadarache et que le bouchon de 10 kilomètres commence à se résorber. Les centaines de véhicules de tous types et de toutes origines qui s’engouffrent dans le centre du CEA ne montrent aucune mauvaise humeur à l’égard de ces drôles de gastéropodes scandant des appels au rassemblement dans la lutte.
C’est le moment d’entamer le périple du retour vers le village où un barbecue attend les participants. L’équipe de CQFD, par pur professionnalisme, décide de faire un arrêt au bar de la mairie, histoire de prendre la température. Hélas, nous sommes accueillis par un tenancier corse des plus taciturnes qui affichent fièrement au-dessus du comptoir les couleurs du PSG et par trois caméras qui scrutent le moindre centimètre carré de la minuscule placette. Nous filons donc vers des lieux plus hospitaliers. « Ici, on boit du rouge, pas du jaune ! », nous rassure aussitôt Jean-Luc, carrure de déménageur et bouille de moine camembert. Natif du pays et endurci par des années de militantisme à la CGT au niveau national, il ne veut surtout pas monopoliser la parole pour prévenir toute dérive vers « le culte de la personnalité ».
Il passe alors le crachoir au trio féminin – « les drôles de dames » comme les appelle celui qui se sent bien dans le rôle de Bosley – à la tête de l’association. Dominique, « la terrassière », assure la présidence ; Martine, « la boulangère », s’occupe de la vice-présidence ; Brigitte, « la garagiste », tient la trésorerie. Mais autour des tables installées derrière le stade, on trouve aussi Bernard, « le retraité », Nicole, « la comptable », Ghislain, « le chômeur », Jonathan, « le tagger »… Aucun ne s’était retrouvé jusque-là engagé dans des actions politiques, hormis la défense de l’école du village. Ils sont les premiers surpris de leur combativité et du plaisir qu’ils prennent à lutter.
Tous conspuent les magouilles des « zélus ». Tous moquent l’attitude du maire PS de Saint-Paul, Roger Pizot, « qu’on ne voit jamais, qui ne dit jamais rien, qui préfère tondre sa pelouse ». Ce que les reporters de CQFD peuvent confirmer après plusieurs appels infructueux. « Il est en réunion » ou « il n’est pas en mairie », nous a poliment répondu la secrétaire. Roger Pizot pensait sûrement avoir bien ficelé son dossier en justifiant la démolition du bâtiment abritant l’actuel bureau postal par la construction de logements sociaux. Mais la ficelle était un peu grosse : « Pourquoi faire ce projet précisément à cet endroit sinon pour arranger la direction de la Poste qui a un beau prétexte pour fermer le bureau ? », s’étonne Jean-Luc. Sans compter la méfiance de certains habitants par rapport à des logements qui pourraient créer un afflux de populations originaires de Marseille. Une méfiance qui perce aussi dans les propos de certains membres de l’association que Jean-Luc essaye de recadrer tant bien que mal. De là à penser que le maire a sciemment choisi cette option pour jeter les ferments de la division au sein du mouvement de contestation…
Mais le calendrier de la lutte n’attend pas. Le 30 mai prochain, les irréductibles villageois organiseront l’enterrement symbolique du service public postal et le petit bourg se couvrira des signes du deuil. A moins que, d’ici là, il ne parvienne à tordre le bras à la direction de la Poste qui avouerait la défaite en rase campagne de ses légions managériales.