La révolte des vignerons de 1907

« Tout vigneron est une bourse plate, tout paysan n’est plus qu’un ventre creux. Ce n’est plus de la gêne, ce n’est plus de la pauvreté, c’est de l’extrême misère. […] À l’aide paysans, à l’aide vignerons, il faut défendre votre sol. Il faut défendre votre maison, il faut défendre votre existence, et le tocsin sonne au rassemblement ! ». Extrait du Tocsin du 21 avril 1907, organe de la lutte viticole confectionné dans la commune d’Argeliers (Aude).

Déjà éprouvés par une épidémie de phylloxera, les vignerons du Midi sont au bord de l’asphyxie en ce début de XXe siècle. Et pourtant, le pinard jouit d’une belle réputation : boisson énergétique, voire antiseptique (dixit Pasteur), le sang du Christ a su trouver le chemin profane des gosiers populaires notamment depuis la loi de 1880 venue libéraliser le commerce des débits de boisson. Pas étonnant donc que la production de rouge languedocien grimpe en flèche pour atteindre 21 millions d’hectolitres en 1906. Sauf qu’elle s’accompagne d’une dégringolade des prix. La faute aux fraudeurs adeptes de la « chaptalisation », accusent les vignerons. Une combine plus que juteuse : vous rajoutez du sucre au moment de la fermentation du raisin histoire de faire monter le degré d’alcool, puis vous délayez avec de la flotte. Un peu de conservateurs et de colorants, et l’ersatz de pinard est prêt. Les fraudeurs pointés du doigt auraient bon dos, n’étaient les véritables raisons du marasme viticole : une surproduction endémique et surtout une concurrence beaucoup plus avérée avec les vins espagnols et algériens.

Réduits à l’état de crève-la-faim, les vignerons du Midi laissent exploser leur colère. De mars à juin 1907, des manifestations de plus en plus nombreuses vont venir galvaniser les départements de l’Aude, l’Hérault, des Pyrénées orientales et du Gard. Point d’orgue à Montpellier, le 9 juin, avec un cortège réunissant 800 000 péquins ! Les comités de défense viticole des quatre départements, fédérés par le bistrotier Marcelin Albert, prennent des allures de comités de salut public. Et Ferroul, maire de Narbonne, de pousser le bouchon toujours plus loin : il prône la grève de l’impôt et la sécession du Languedoc. Le 10 juin, il se démet de son mandat de maire, rapidement imité par plus de 400 de ses pairs.

C’en est trop pour Clémenceau, président du Conseil, nouvellement converti au tout répressif depuis son passage par le ministère de l’Intérieur quelques mois auparavant. Jaurès a beau l’interpeller à la tribune, le Tigre a déjà mobilisé la troupe. Le petit mot envoyé par Ferroul n’arrange les choses : « Monsieur Clémenceau, depuis le commencement de nos manifestations, nous a considérés comme de grands enfants, bons garçons, mais inconscients de leurs actes. Il est de ceux qui pensent que dans le Midi tout finit par des chansons ou des farandoles. Il se trompe grandement, il ne nous connaît pas. » Le 19 juin, les bidasses vont cueillir les leaders du comité d’Argeliers, non sans heurts. Les roussins secondés par l’armée s’en prennent à Ferroul ce qui déclenche le siège de la sous-préfecture de Narbonne dans la soirée. Les cuirassiers, conspués par la plèbe assemblée, chargent. Un mort et une dizaine de blessés. Puis le 139e régiment d’infanterie fait parler la poudre : cinq morts. À Perpignan, on crie vengeance et on assiège la préfecture. Le toit du bâtiment est le dernier refuge pour le préfet et sa marmaille : sous ses pieds, les flammes dévorent les plafonds lambrissés du pouvoir. Ne manquait plus alors qu’un symbole : il sera donné par le 17e régiment d’infanterie de Béziers. Le 21 juin, ces derniers mettent crosse en l’air et reprennent les couplets de l’Internationale au côté des émeutiers ! Le chansonnier Montéhus leur dédie une chanson : Gloire au 17e.

Le lendemain a lieu la confrontation entre Marcelin Albert, figure de proue de la fronde viticole, et Clémenceau. Ce dernier promet des mesures contre la fraude à condition qu’Albert désamorce le conflit. De retour à Narbonne, Albert est traité en renégat par ses camarades.

La fronde vigneronne va s’étioler avant de renaître 4 ans plus tard… dans le vignoble champenois ! Cette dernière inspirera Gaston Couté : « Esclav’ des usines, esclav’ de la terre, Les vœux de nos cœurs sont les mêmes vœux : Tous deux nous souffrons de la mêm’ misère. Nous avons le même ennemi tous deux ! ». À reprendre en chœur en cette rentrée ponctuée de plans sociaux à répétition et de vague de suicides dans les campagnes.

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