La rébellion des coureurs de bois

Thierry Gillybœuf mérite qu’on se rince le fusil avec lui au moins pour trois raisons. D’abord et d’une, il a traduit et préfacé les écrits de l’utopiste british castard du XIXe siècle William Morris sur L’Art et l’artisanat (Rivages poche). Après être rentré avec virulence dans le chou du capitalisme qui « aliène les libertés créatrices » des artistes et des artisans en leur « imposant de générer des bénéfices et non de répondre à un désir de beauté ». Et après avoir tempêté contre l’industrialisme qui fabrique à la chaîne des ersatz (« l’omniprésence des ersatz et, je le crains, le fait de s’en accommoder forment l’espace de ce que nous appelons la civilisation »), Morris propose la révolution. Mais pas une révolution rigoriste et rabat-joie, « une révolution joyeuse, généreuse et poétique » s’ingéniant à « réapprendre la recherche du bonheur ». Et commençant tout de suite. En attendant le grand soir, s’excite William Morris, comme le fera, trente ans plus tard en France, l’anarchiste Libertad, désobéissons, faisons la grève des gestes inutiles. « Je n’accepterai pas de gaspiller mon temps et mon énergie à fabriquer un colifichet dont je sais que seul un imbécile voudra. »

Le designer socialiste William Morris (1834-1896).

Les appels à la désobéissance artistique de Morris font naturellement penser à H.D. Thoreau dont Thierry Gillybœuf, c’est son second coup d’éclat, vient de traduire pour Fayard un inédit en français, Sept jours sur le fleuve, le récit d’une expédition lyrique en canoë, fin 1840, qui est en même temps un voyage intérieur de l’écrivain vers encore plus de conscience critique.

La troisième raison de se mouiller la meule avec le compère Gillybœuf, c’est qu’il sort, toujours chez Fayard, une bio vraiment choupaïa de Henry David Thoreau le célibataire de la nature alors qu’il n’existait rien de fiable sur lui dans la langue de Montaigne. On nous y confirme que l’auteur de Walden mit toujours ses actes en accord avec ses pensées rebelles, qu’il refusa tenacement d’être un prof de philo, un exemple à suivre, que les seuls modèles qu’il reconnut, c’étaient les Indiens, les bûcherons, les sauvages et quelques sages orientaux fantasques, qu’il envoya se faire fiche tous les honneurs, qu’il démontra qu’il était absurde de travailler plus d’un jour par semaine, qu’il incita à la mutinerie contre toute espèce de contrainte ou de servitude, volontaire ou non, qu’on l’embastilla lui-même à deux reprises pour avoir récusé une taxe. Thierry Gillybœuf met fin par ailleurs à quelques légendes. Non, Thoreau n’était pas un ermite claquemuré dans sa cabane. Non, ce n’était pas un crapaud mystique (il ne vouait un culte qu’au grand dieu Pan). Non, ce n’était pas l’ancêtre des baba-cools abouliques. Encore que j’avoue avoir tout de même le poil hérissé par certains de ses côtés boy-scout transcendantal aux habitudes frugales.

Ma bile n’arrive pas, par contre, à s’échauffer quand le livre épingle les défauts cocasses du philosophe. C’est ainsi qu’on lui reproche d’avoir incendié par inadvertance une forêt au grand dam de ses propriétaires, et d’avoir trouvé le spectacle splendide.

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1 commentaire
  • 13 janvier 2017, 18:23, par Thierry Gillyboeuf

    Cher Noël Godin, grand Gloupier devant l’éternel, je viens juste à l’instant maintenant de trouver votre note emballante et emballée au sujet de Morris & Thoreau. Alors, pour moi, ça vaut toutes les médailles, tous les éloges. Merci, merci. Et je me tiens à votre disposition pour me rincer la meule avec vous !!! Thierry

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