La chronique judiciaire où tout le monde sourit

MARSEILLE, 8E CHAMBRE. Beaucoup de personnes entrent dans la salle jusque là assez vide – on reconnaît des militants. La policière chargée de surveiller les bancs du public se chuchote à elle-même : « Qu’est-ce que c’est que tout ça ? » La présidente, une femme d’une quarantaine d’années, appelle P., A. et S., qui est absente. Deux jeunes femmes vont à la barre. « Mademoiselle P., il vous est reproché d’avoir à Marseille, le 27 juin 2009, alors qu’il existait des indices graves et concordants que vous ayez commis des infractions, refusé de vous soumettre à un prélèvement biologique destiné à permettre de faire apparaître l’analyse et l’identification de votre empreinte génétique. » L’avocat de P. et A., un homme d’une trentaine d’années, plaide l’annulation : « Je soulève deux difficultés. La première c’est que Mademoiselle P. a demandé à voir un médecin au début de sa garde à vue, et on n’a nulle trace d’examen médical. La deuxième, c’est qu’au moment de la prolongation de la mesure de garde à vue, la prévenue a exprimé le désir de voir un avocat désigné, or je ne vois nulle part dans la procédure la recherche d’un avocat. » La présidente demande l’avis du procureur, un homme grand à la voix forte : « Il semble effectivement que la procédure de prolongement de la garde à vue ne soit pas conforme au code de procédure pénale. Pour autant, à partir du moment où on lui reproche l’infraction de refus de prélèvement biologique, cela ne nuit pas à la présente procédure.  » L’avocat retourne à sa place, des regards inquiets s’échangent dans le public. La parole est à P. : « Je ne comprends pas pourquoi on m’a demandé mon ADN, c’est totalement disproportionné parce qu’il n’y avait pas de réel délit qui nous était reproché. – Quelles étaient les circonstances ? – On nous reprochait un vol collectif dans un supermarché, sans preuves. » Le procureur se lève : « Ce dossier pose un problème de fond et il est plus intéressant que le tribunal statue sur le fond, parce qu’en matière de prélèvements biologiques, on ne peut pas faire n’importe quoi. On est dans une société qui a tendance à faire des prélèvements à tout bout de champ, et c’est pourquoi je vous demanderai la relaxe. » Des exclamations de surprise surgissent des bancs du public. « On a une interpellation de cinq personnes dont il nous est dit qu’elles “pourraient correspondre au signalement”, sachant que le signalement, c’est qu’elles sont habillées en noir et qu’elles pourraient être qualifiées sous le vocable de “punk”… ça me semble particulièrement faible. Autre élément déplacé, c’est qu’on a une fiche de recherche de la DST, de la DST hein,qui indique que la personne “pourrait appartenir à la mouvance anarcho-autonome” et qu’elle “serait susceptible de commettre des actes délictueux”… il ne faut pas exagérer. » Un « Bravo ! » et des applaudissements fusent du public – la présidente, très énervée, les interrompt : « NON ! On n’est pas dans une salle de spectacle ! Si vous voulez vous exprimer, vous sortez ! » Le procureur s’assied en souriant, l’avocat prend la suite : « Je me joins entièrement aux réquisitions du ministère public. Il y a absence d’un élément, qui est censé éviter le fichage généralisé, ce sont les “ indices graves ou concordants”. On ne retrouve aucun objet volé sur ces jeunes femmes, c’est quand même intéressant. Par ailleurs, on n’a pas la pièce de procédure qui constate les refus de prélèvements, on ne sait pas qui l’a constaté, et on n’a pas l’assurance que c’est un officier de police judiciaire, seul habilité. » La présidente appelle A. : « Qu’avez-vous à dire ? – Je voudrais ajouter que les conditions de la garde à vue étaient particulièrement pénibles : interdiction d’aller aux toilettes, interdiction de voir un médecin, interdiction de manger le lendemain matin. – Bien, je vous remercie. M. le procureur ? – Même réquisition – Maître ? – Même plaidoirie. » Dans un sourire la présidente conclut : « Même décision. » L’audience est suspendue pour les délibérés, puis au retour, la présidente annonce : « Mesdemoiselles P., A. et S., le tribunal vous relaxe en constatant que la procédure ne lui permet pas de constater des indices graves ou concordants justifiant le prélèvement biologique. Pour les autres remarques concernant les conditions de garde à vue, le tribunal n’est pas saisi.  » À la sortie du tribunal, devant les personnes venues en soutien, des policiers en tenue gardent la porte. Il y a une banderole et une table avec un infokiosque – un gars avec un grand chapeau entonne seul un chant de lutte en espagnol, puis crie : « Contre les flics et ce système de merde ! » Un policier passe devant lui en souriant.

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Paru dans CQFD n°77 (avril 2010)
Dans la rubrique Chronique judiciaire

Par Juliette Volcler
Mis en ligne le 29.05.2010