Théâtre

« La Marseillaise » sur les planches (critiques)

Le collectif Manifeste Rien se donne pour ambition de rendre accessible sous forme théâtrale des œuvres anthropologiques ou historiques. Après s’être emparé de l’Histoire universelle de Marseille ou de la vie du cambrioleur anarchiste Marius Jacob, Jérémy Beschon est parti du travail autour de l’immigration populaire de l’historien Gérard Noiriel pour signer La Marseillaise et caetera.
Photo Calypso Lopez

Le personnage joué par Atsama Lafosse rentre sur scène. Elle est au guichet pour l’Europe à Melilla (enclave espagnole sur le sol marocain) : « Le temps à attendre est plus long que pour venir.  » Elle sera notre guide dans ce voyage mémoriel d’une famille marseillaise.

Nous sommes alors projetés dans un pavillon à crédit où la télévision crache ses informations. La mort de Zyed et Bouna (2005) dans un transformateur est annoncée. On passe à un match de foot lors duquel la Marseillaise est sifflée, tout autant qu’elle est chantée en cet hiver 2018. C’est elle l’héroïne.

Point d’histoire. En 1881, l’hymne national français fut sifflé par des Italiens à la suite de la victoire de la France sur l’Italie dans le conflit qui les opposaient en Tunisie. Les troupes défilent alors rue de la République à Marseille et quelques Italiens sifflent au passage. S’en suivent trois jours de rixes entre ouvriers italiens et français : les vêpres italiennes. Le jeune Giuseppe, 15 ans est retrouvé noyé dans la fontaine du cours Julien.

À cette époque de retour des libertés publiques dont celle de la presse, dix ans après le Commune, les journaux sont en pleine effervescence. Le sujet de l’immigration devient un enjeu politique. L’étranger une menace. L’ennemi intérieur apparaît après la figure du communard. Sa figure, italienne quand elle est pauvre, juive quand elle est dans l’état- major. L’affaire Dreyfus arrive à grands pas. Le Boche depuis 1870 est aussi une figure ennemie pour la République. Avec les colonies, il ne reste pas grand-chose de « gaulois ».

C’est avec ça que Jérémy Beschon joue. Il invente un Alsacien noir et des bons Français descendants de juifs ou d’Italiens. En 1888, nouveau recensement et obligation aux étrangers de se signaler en mairie. En 1889, naturalisation des enfants dont on pourra faire des soldats pour le conflit suivant. Tout est renversé et crée une panique mémorielle. Un affolement qui est somme toute, un oubli majeur des origines. Un besoin d’être « blanc » pour échapper à sa condition de pauvre, une nécessaire conduite d’intégration qui poussent les immigrés à rejeter leur passé. Stanislas Grimaldi, que joue Virginie Aimone en alternance avec sa femme Françoise, se rappelle de son enfance avec douleur : « On était des miséreux.  » Il y a de quoi faire une psychanalyse, non pas lacanienne mais malienne.

On est surtout rejeté quand on est pauvre. « Le problème n’est pas d’être noir mais le problème est d’être pauvre », clame Atsama Lafosse, qui excelle à jouer ses multiples rôles contraires. Le problème, c’est les deux, a-t-on envie de lui répondre. Le problème, c’est la société.

Christophe Goby

La Marseillaise et caetera. Une pièce de Jérémy Beschon d’après des textes de Gérard Noiriel et de Marie Beschon, avec Virginie Aimone, Olivier Boudrand et Atsama Lafosse.


Bientôt sur les planches

Les 3 exils d’Algérie, une histoire judéo-berbère, d’après Benjamin Stora, au Théâtre de l’oeuvre, Marseille. Vendredi 8 et samedi 9 février 2019 à 20 h. Tout public. Pour plus d’informations : manifesterien@gmail.com

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Les échos du Chien rouge

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