No future, sauf si t’as une crête

L’invasion des punks vivants

En science-fiction comme en fantasy, l’apocalypse a toujours été à la mode. Fin d’un monde, fin du monde, on ne compte plus les livres qui s’emparent de ce thème vieux comme l’humanité pour le décliner à toutes les sauces. Tour à tour gore, burlesque, sérieux, Le Club des punks contre l’apocalypse zombie détonne par bien des aspects dans ce chaudron littéraire. Un roman tout droit sorti du cerveau délirant de Karim Berrouka, connu aussi comme chanteur des mythiques Ludwig Von 88.
Par J. M. Bertoyas

Le titre a le mérite d’annoncer la couleur. Au menu du Club des punks contre l’apocalypse zombie 1, on a bien une apocalypse, des punks et des zombies, sur fond de récit oscillant entre n’importe quoi et très sérieux. Car si Karim Berrouka manie l’humour absurde comme personne, il a le mérite de savoir écrire, de taper là où ça fait mal, dissimulant une authentique sensibilité sous un vernis sardonique du plus bel effet. Au fil des pages, on croisera la route de représentants maléfiques du Medef, des frères Bogdanov zombifiés, de punks plus ou moins ravagés ou de flics chair à canon. Tout ce petit monde est habilement mis en scène, sur le fil d’une histoire plus profonde qu’il n’y paraît. Car oui, osons le dire, Le Club des punks contre l’apocalypse zombie est un livre drôle et intelligent, malin et bien fichu − irréprochable, en un mot. Comme un album des Ludwig Von 88 ? Pas faux.

Par J. M. Bertoyas

Reprenons. Paris, aujourd’hui, l’apocalypse zombie arrive. Elle est là. Il est trop tard. Les morts-vivants envahissent les rues, traînent leurs corps putréfiés de quartier en quartier et bouffent la cervelle des malchanceux qui leur tombent sous la dent. Rien de neuf sous le soleil de l’apocalypse. World War Z nous en avait déjà mis plein la vue sur le même sujet (on parle du livre de Max Brooks, pas du film, dont la seule évocation est une insulte à l’intelligence). Mais là où le roman de Brooks décrit par le menu l’effondrement de la civilisation, avec son lot de conséquences dramatiques, Karim Berrouka opte pour le grotesque. Ici c’est Paris qui disparaît dans le gosier des zombies.

Que reste-t-il ? Pas grand-chose. Et quand les squatteurs en chef se réveillent un beau matin au milieu du bordel général, ils prennent vite conscience du fait que l’apocalypse, c’est punk. Tout est possible. On peut compter les points entre les flics et les morts-vivants. On peut planter un drapeau noir au sommet de la tour Eiffel. On peut envisager une nouvelle existence, débarrassée des contraintes capitalistes, sociétales, morales, etc. Finalement, rien de tel qu’une bonne apocalypse zombie pour faire la révolution dans la praxis. Si la formule prête à sourire, le roman de Karim Berrouka est une belle mécanique, irréprochable sur le fond comme sur la forme. À travers le destin d’Éva, Mange-Poubelle, Deuspi, Kropotkine et Fonsdé, l’auteur raconte le quotidien doux-amer des exclus, des névrosé-es, du peuple de l’abîme cher à Jack London.

D.R.

Dans ce tableau, les zombies ne sont pas qu’un prétexte à « rigolade ». Ils sont bêtes, lents, morts, tout simplement. Ils n’incarnent pas le prolétariat, comme dans les films de Roméro, contrairement aux punks. Et si les aventures des cinq protagonistes principaux prêtent à rire, elles n’en sont pas moins palpitantes. Et se déroulent à plusieurs niveaux. Rions avec les zombies. Rions avec la fin du monde. Rions un peu moins avec la société française. Rions jaune avec le destin fracassé des inadapté.e.s. Saignons des gencives avec les conséquences. Du Shakespeare, en somme, la tragédie sous-jacente à chaque comédie, la vie dans toute son horreur comique. La plume de Berrouka n’a certes pas grand-chose à voir avec celle du glorieux William, mais il faut reconnaître que dans la production imaginaire française, hélas habituée au médiocre, l’auteur se distingue par le haut. Son livre a du style, c’est suffisamment rare pour le noter. Quant à la fin, on n’en dira rien, mais signalons simplement que la surprise le dispute à l’intelligence, une fois de plus. Comme quoi on peut batifoler en terre zombie sans céder à la facilité et aux clichés éculés.

Patrick Cockpit

À lire aussi

  • Un entretien avec Karim Berrouka, publié exclusivement sur le site de CQFD : « La fin du monde, c’est le paradis des punks » > Interviewer Karim Berrouka, figure du groupe punk Ludwig Von 88 et auteur fantaisiste de fantasy et de S. F. relève d’un gageure. Pas facile de rester sérieux plus de deux secondes… Mais au final on obtient quand même un scoop !

1 Éditions ActuSF, 2016.

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