Le dossier « Massacres du vendredi 13 »

L’étau d’urgence

« Nous sommes en guerre. » Cette ritournelle, on l’a entendue jusqu’à la nausée depuis le vendredi 13 dernier, jour où l’on a essayé de nous faire comprendre que guerre et paix ne se conjuguaient plus. Pourtant, ce n’était pas une nouvelle, la France en guerre. Puis, à peine le temps d’un coup de fil aux potos qui habitent là-haut – à Paris –, de souffler quelques instants, et nous nous sommes tous retrouvés en état d’urgence – Vlan ! double sanction. Ça s’est passé au pas de charge, sous perfusion martiale  : proclamé le 13 au soir, entré en vigueur le lendemain matin, prolongé le 19 pour trois mois après un vote express à l’Assemblée nationale et une adoption au Sénat…

L’état d’urgence, un des régimes d’exception de l’arsenal juridique français, a été institué par la loi du 3 avril 1955. Créé sur mesure pour la guerre d’Algérie – et décrété trois fois à cette occasion (1955, 1958 et 1961) –, utilisé contre les Kanaks en 1985 sur leur île, et vingt ans après pour mater les émeutes en banlieue. On se rappellera, outre l’augmentation hallucinante de l’arbitraire policier, le massacre des Algériens défiant le couvre-feu le 17 octobre 1961 à Paris, et les meurtres policiers du 8 février 1962 au métro Charonne. Outil de gestion coloniale, l’état d’urgence a été un facteur d’accélération du processus de militarisation de la police. Accentuant également la confusion entre « État de droit » et État sécuritaire : « C’est-à-dire une société où la vie politique devient de fait impossible et où il ne s’agit que de gérer l’économie de la vie reproductive », comme le précise le philosophe Giorgio Agamben dans une interview accordée à Télérama en janvier 2015.

Par Soulcié.

À côté de la possibilité donnée aux préfets d’instituer des zones de sécurité (couvre-feu), aux perquisitions administratives (sans autorisation judiciaire) et assignations à résidence, on retrouve également celle de la dissolution des associations et groupements « portant une atteinte grave à l’ordre public ». Autrement dit  : on lâche la bride. Le message est passé, la mise à jour des fichiers de police est lancée et la chasse aux contestataires ouverte. Après deux semaines d’état d’exception, on comprend rapidement que le principe « est de taper large », comme le souffle le préfet du Val-d’Oise après une descente musclée dans un restaurant de Saint-Ouen-l’Aumône. Le 27 novembre, on dénombrait 1 836 perquisitions administratives, 305 personnes assignées à résidence et 200 gardes à vue. Des chiffres au devenir exponentiel. Au moindre soupçon  : Paf ! Service de renseignement, délation, rumeur de comptoir… Personne n’est à l’abri de l’étau qui se resserre.

On exagère ? Voici les faits de ces dernières semaines  : le Raid qui se trompe d’appart’ en pleine nuit et blesse une fillette de 6 ans à Nice ; deux jeunes au comportement prétendument suspect sont arrêtés à bord d’un TGV ; perquisition de squats ; perquisition chez des maraîchers, en Dordogne, soupçonnés d’avoir participé il y a trois ans (!) à une manifestation de soutien à la Zone à défendre de Notre-Dame-des-Landes, etc… L’argument est toujours le même  : recherche de « personnes, armes ou objets susceptibles d’être liés à des activités à caractère terroriste ».

L’horreur des attentats de Paris a conduit à occulter le drame des réfugiés, qui fuient pour la plupart des situations de guerre quotidiennes dont le vendredi 13 nous a donné un aperçu. Manuel Valls l’a dit clairement  : « L’Europe doit dire qu’elle ne peut plus accueillir autant de migrants, ce n’est pas possible . » Le 22 novembre, lors d’une manifestation appelée en soutien aux réfugiés à Paris, 58 personnes ont été identifiées par les flics et balancées au Parquet pour « violation d’une interdiction de manifestation prise en vertu de l’état d’urgence ». La dernière vague de perquisitions et d’assignations à résidence en date, à la fin du mois de novembre, concerne les opposants à la Conférence de Paris sur le climat (COP21). Alors que la grande marche pour le climat du 29 novembre a été annulée, certains militants se retrouvent maintenus chez eux et obligés de pointer au commissariat trois fois par jour. La raison ? Ils pourraient – pourraient ! – manifester contre la COP21 et, par conséquent, constituer « une menace pour la sécurité et l’ordre publics ».

Leur injonction à ne pas bouger redéfinit la vieille rengaine policière  : « Rentrez chez vous, y a rien à voir. » Manière de lutter contre leur peur séculaire de la foule et du peuple. Manière surtout de tenir la rue, espace éminemment politique. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle est aussi bien tenue, la rue, aujourd’hui plus qu’hier. L’antiterrorisme comme élément stable des gouvernements.

Par Nicolas de la Casinière.
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