Accusé Jacob, levez-vous !

L’anarchie par le casse

Au tournant du XXe siècle, l’anarchiste Alexandre Marius Jacob (1879-1954) passe maître dans l’art du cambriolage. Avec Tout homme a droit au banquet de la vie, les éditions du Bout de la ville ont ressuscité en mai dernier cette figure de l’illégalisme.

Fin XIXe-début XXe siècle. Les anarchistes font péter des bombes, assassinent des présidents et braquent des banques. Chacun son style : Alexandre Marius Jacob, quant à lui, transforme en art la doctrine de la reprise sur le tas – c’est-à-dire le vol des rupins. Quelques-unes de ses lettres adressées à sa mère et à des amis viennent de paraître aux éditions du Bout de la ville, sous le titre Tout homme a droit au banquet de la vie.

Où l’on apprend que, dès son adolescence, Jacob se construit une culture politique solide qui l’amène à embrasser la carrière de cambrioleur qu’on lui connaît. Et qui le conduira jusqu’aux assises. En 1905, devant la cour, Jacob déclare : « Ne reconnaissant à personne le droit de me juger, je n’implore ni pardon ni indulgence. Je ne sollicite pas ceux que je hais et méprise. Vous êtes les plus forts  ! Disposez de moi comme vous l’entendrez, envoyez-moi au bagne ou à l’échafaud, peu m’importe  ! » Puis Jacob déroule, défendant avec vigueur la manière dont il a choisi de vivre, dessinant le portrait acerbe d’une société capitaliste qui le révulse : « La société ne m’accordait que trois moyens d’existence : le travail, la mendicité, le vol. Le travail, loin de me répugner, me plaît, l’homme ne peut même pas se passer de travailler ; ses muscles, son cerveau possèdent une somme d’énergie à dépenser. Ce qui m’a répugné, c’est de suer sang et eau pour l’aumône d’un salaire, c’est de créer des richesses dont j’aurais été frustré. »

Les lettres qu’il adresse à sa mère durant les mois qui suivent son procès, révèlent pour leur part un Jacob déterminé et d’un humour mordant : « Si je suis allé à la cour d’assises dernièrement, écrit-il, [c’était pour] me payer la tête de ceux qui voudraient s’offrir la mienne. Ce que j’ai fait, du reste, et dans les grandes largeurs. Ce n’était pas pour aller discuter avec la crème de la médiocrité bourgeoise composant le jury. On s’ennuie en cellule et ces petites comédies servent de distraction. » Ce qui lui permet aussi de tenir dans l’attente de son départ pour le bagne où il passera vingt ans. Quelques années plus tard, ses dernières correspondances le montrent vieux, las, pessimiste, mais qui argue encore : « La moindre injustice me heurte et réveille en moi le Don Quichotte de mes jeunes printemps. » Minot, il faisait la nique au système. À 75 ans, il fait la nique à la vie, en choisissant de mettre fin à ses jours. Ultime bras d’honneur à cette société qu’il déteste.

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CQFD n°210 (juin 2022)

Dans ce numéro de juin criant son besoin « d’air », un dossier sur la machine répressive hexagonale et les élans militants permettant de ne pas s’y noyer et d’envisager d’autres horizons. Mais aussi : un long reportage à Laâyoune, Sahara Occidental, où les candidats à la traversée pour les Canaries sont traqués par les flics marocains, une visite dans la Zone À Patates (ZAP) de Pertuis, un dialogue sur les blessures de la guerre d’Algérie, de la boxe autonome, une guérilla maoïste indienne, des Trous orgasmiques…

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