L’action sociale, c’est nous !

Ils sont une petite dizaine à occuper deux mille mètres carrés habitables, avec un grand jardin, à quelques encablures du centre-ville de Marseille. Que demande le peuple ! De ne pas se faire expulser par le centre communal d’action sociale. Car, justement, ils en font, du social.
par Rémy Comment

« Le 28 mars au matin, on a vu débarquer les gars d’EDF  », raconte Germain, un des occupants d’un vaste bâtiment situé dans le Ve arrondissement de Marseille. Vide depuis plus de deux ans, cette antenne du centre communal d’action sociale (CCAS) était aussi un lieu d’accueil pour les personnes âgées du quartier. « Ils défonçaient la rue à coups de marteau piqueur pour couper le câble d’alimentation électrique. On leur a demandé d’arrêter. On est plus de dix personnes à vivre là, dont un enfant … » Au téléphone, Ametis, le promoteur immobilier commandité par le propriétaire, pose alors ses conditions : « Si vous nous laissez entrer pour constater l’état, on ne vous coupe pas le jus. » Dont acte.

En ce début avril, cela fait maintenant cinq mois que la petite équipe est installée dans ces deux millemètres carrés habitables entourés d’arbres et de gazon, mais laissés à l’abandon. « Occuper des logements vides est un choix politique, dit Germain. En plus d’avoir un toit, nous avons aussi le projet d’accueillir des gens qui sont dans la merde. » « On ne peut pas laisser des espaces vides sans raison », poursuit Pauline. « Je n’ai pas envie de passer toute ma vie à faire de l’argent. Il y a beaucoup d’autres choses à faire, reprend le premier, ex-élagueur. Ouvrir des ateliers pour se livrer à diverses activités, par exemple… » Lucie fabrique des meubles en carton. Quand Tim ne se consacre pas à faire des tatouages avec des instruments « à usage unique et scrupuleusement stérilisés », il répare des guitares et des youkoulélés. Lutsa, elle, expérimente la création de carrelage et d’olisbos en céramique, pendant que Marita propose des séances d’initiation aux crochetages de serrures et à l’ouverture de portes. Au sous-sol, une grande salle équipée d’amplis, de platines et d’une tireuse à bière accueille concerts et fiesta. « On avait l’intention de faire aussi un potager, mais avec le procès qui va avoir lieu le 19 avril, on n’aurait pas eu le temps de voir pousser nos courgettes », explique Germain.

Car le CCAS, qui souhaite se débarrasser de l’édifice pour raisons économiques, a chargé le promoteur immobilier de le récupérer afin d’en assurer la destruction pour… reconstruire des logements destinés aux cadres de la SNCF ! « Il y aura une crèche, oui, oui ! », précise un des émissaires d’Ametis histoire de colorer l’affaire d’une touche de social. Ce que les habitants – prétendument illégaux – pratiquent au quotidien en accueillant des personnes à la rue, transformant ainsi leur espace en un lieu d’hébergement d’urgence.

par Rémy Comment

« Ametis nous a dit qu’on les retardait dans leur projet social. Mais c’est justement ce que l’on fait, filer des coups de main aux gens, les aider pour la paperasse, etc. Ils ont proposé de nous reloger dans un appartement de soixante-dix mètres carrés à prix réduit, dans les quartiers Nord. On leur a répondu que nous étions au moins sept à vivre ici, avec un enfant. Et que, de plus, nous ne voulions pas collaborer au déplacement des populations pauvres vers la périphérie. Nous, ce que nous voulons, c’est du temps pour vivre, pour développer nos activités. »

Lors d’une tentative de négociation avortée, l’encravaté d’Ametis a convenu que le CCAS, en cherchant à faire expulser des squatteurs désargentés, mettait ses principes de côté. En effet, c’est le monde à l’envers ! Un établissement public œuvrant dans le social fait virer des pauvres qui, par ailleurs, assurent une mission de service public en accueillant dans leur squat des gens à la rue ! Voilà le genre de situation absurde à laquelle mènent les politiques de réduction des budgets des services sociaux et des associations d’aides aux plus démunis1.

Sur le trottoir d’en face, une plaque insolente fixée au mur rappelle qu’un jeune résistant a vécu là jusqu’en 1944…


1 C’est aussi le cas à Toulouse, avec la Maison Goudouli et le Crea. Relire « Salade de squats », CQFD n° 98.

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