Karibu Maoré ! (Bienvenue à Mayotte !)

Léger émoi dans la presse française : un nouveau-né « clandestin » est mort au centre de rétention de Mayotte. Sur ce rocher français de l’océan Indien, il est d’usage d’appeler « clandestins » toutes les personnes qui arrivent des îles sœurs, de l’archipel des Comores. Notamment d’Anjouan, que l’on aperçoit à l’horizon, à 70 km de là.
par Camille

Depuis que le visa Balladur de 1995 est venu réglementer de manière drastique l’accès à la partie française de l’archipel, les Comoriens, qui ont toujours circulé librement entre les différentes terres, n’ont d’autre choix que de payer des fortunes aux passeurs, pour des traversées aussi nocturnes que périlleuses.

Dans la nuit du 15 août, un kwassa est intercepté par la Marine nationale. à bord de cette embarcation de fortune, vingt-six clandestins, hommes, femmes et enfants. Les passagers sont débarqués à Pamandzi, en Petite Terre, là où se trouve le Centre de rétention administrative (CRA). Sur le quai, une infirmière de l’hôpital réalise un diagnostic rapide. Certains sont bons pour les urgences, les autres iront directement au CRA, un hangar situé au bord d’une route passante de la petite île, entouré de quelques barbelés.

Le lendemain matin, un nourrisson de deux mois est retrouvé mort dans l’enceinte du centre. La jeune mère de dix-sept ans avait pourtant signalé, dès l’arraisonnement du kwassa, le mauvais état de santé de son bébé, né prématurément à Anjouan. « Il pesait un kilo et demi. On a essayé de le soigner à Anjouan mais ça n’a pas marché. C’est pour cette raison que j’ai décidé de venir à Mayotte », a-t-elle déclaré. « On m’a dit qu’un enfant malade ne devait pas aller au CRA, mais à l’hôpital. Là, j’ai compris qu’ils avaient considéré mon enfant comme un rat. »

Associations locales et collectifs se mobilisent : manifs, communiqués de presse,… La rumeur du bébé mort au CRA finit par sortir du lagon et gagne la métropole. Obligation pour les autorités locales de se justifier, d’autopsier, d’enquêter,… Pour une fois, le statut de ces populations, proche du régime de l’indigénat, est bousculé. Une histoire qui ne pourra pas se régler selon la cuisine coloniale habituelle.

Car ce n’est pas la première fois que le CRA de Mayotte fait parler de lui outre-mer : en mai 2011, un homme y était décédé, officiellement d’une « crise cardiaque ». Le 25 janvier 2012, deux policiers sont condamnés pour avoir frappé une femme avec leurs tonfas, lui causant des hématomes de vingt centimètres de diamètre. Sans compter les images choc, sorties dans Libération1, en décembre 2008, « Mayotte, la République indigne », et « Le centre de rétention de la honte », récupérées clandestinement, par un agent de la Police aux frontières, qui les avait confiées au journal.

Après le drame d’août, la jeune mère comorienne est l’objet de fermes pressions policières : on l’incite à dire que son bébé était décédé pendant le trajet en mer. Interrogé à ce sujet, Thomas Degos, le préfet de Mayotte, s’insurge et prétend que de telles manœuvres « n’ont pas cours dans les services de l’État. »

Du côté de la métropole, les ministres de l’Intérieur et de l’Outre-Mer appuient la politique en place dans le 101e département français : « Si aucune action de maîtrise de ce phénomène (migratoire) n’était recherchée, la population augmenterait d’environ 10 % chaque année, ce qui compromettrait tout développement social et économique. » Et ils rappellent, refrain usé jusqu’à la corde, que les véritables responsables de telles tragédies restent les « passeurs ».

En attendant, à Mayotte, il faut prendre des mesures ; le procureur suspend l’infirmière ! Négligeant un détail : depuis trois mois, la préfecture impose à une infirmière de l’hôpital de formuler un diagnostic, alors que seuls les médecins sont normalement habilités à le faire. Le directeur de l’hôpital et le préfet, ne s’en tiendront pas à ce seul arrangement ; ils prévoient de lancer quelques travaux de sécurisation – un gros mur et des barbelés – afin d’avoir une véritable annexe du CRA, dans l’enceinte même de l’hôpital ! Avec présence permanente des forces de police. Des locaux qui pourront accueillir le « tri sanitaire », après interception des kwassas. Et de quoi décourager un peu plus les Comoriens malades de risquer la traversée pour aller chercher des soins à l’hôpital…

Pourtant, en juillet 2012, une mission sénatoriale préconisait la révision du visa Balladur et proposait d’ouvrir un espace de circulation à l’intérieur des Comores, Mayotte comprise. Tout en encourageant la construction d’un nouveau centre de rétention pour 2014… Mais fin août, Valls envoie sur l’île son conseiller d’État, Alain Christnatch, qui, lui, prônera le maintien de la politique en place. Et la même semaine, on apprend que la circulaire Valls du 6 juillet qui préconise l’assignation à résidence des familles sans-papiers (avec enfants) et des mineurs – plutôt que le placement en CRA – ne sera pas appliquée à Mayotte. Justification des sbires du successeur de Sarkozy, Hortefeux et Guéant : avec 25 % de la population sans titre de séjour, « la réalité de la situation locale rend inopérante l’assignation à résidence » ! Mais, sans doute, le nouveau sinistre de l’Intérieur veut-il surtout conserver d’aussi providentiels contingents d’expulsions - six mille quatre cents mineurs en 2010, cinq mille trois cents en 2011 – quand il s’agira de relancer la politique du chiffre…

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Paru dans CQFD n°103 (septembre 2012)
Dans la rubrique Histoires de saute-frontières

Par Lionel Jensac
Illustré par Camille

Mis en ligne le 17.10.2012