L’édito du n°217

Israël, de mal en pire

C’est devenu une habitude. En Palestine et en Israël, les morts qui s’égrènent dans les médias semblent s’inscrire sur une longue courbe entamée au début du xxe siècle et surtout rythmée, depuis quinze ans, par les massacres commis par l’armée israélienne à Gaza. Et pourtant, on a l’impression que cette fois c’est différent. Que l’échelle du pire est en train de bouger.

Le sixième gouvernement de Benyamin Netanyahou, formé le 29 décembre dernier, marque une rupture historique. Souvent qualifié de « plus à droite de l’histoire d’Israël », il signe le rapprochement des deux courants les plus extrémistes du pays. D’un côté, les nationalistes du Likoud, héritiers des sionistes « révisionnistes », partisans de l’expansion d’Israël au mépris total des droits des Palestiniens sur leur terre. De l’autre, les partis religieux orthodoxes, ultra-réacs mais hostiles à l’armée et parfois à l’existence même d’Israël1. Entre eux, depuis toujours, des conflits de fond, des alliances de circonstance entre fachos, en tout cas clairement pas de programme commun. Mais, après des décennies de droitisation de la société israélienne, d’accélération de la colonisation et de la ségrégation spatiale des Palestiniens, l’heure est à la fraternisation. Conciliant le nationalisme du Likoud et le délire messianique des orthodoxes, les « sionistes religieux », longtemps marginaux, sont passés de 5 à 10 % des voix et viennent d’obtenir des ministères clés comme les Finances et la Sécurité intérieure.

Ce que ça change ? Pas mal de choses. Le sionisme des origines ne visait qu’à instaurer un État-refuge pour les juifs persécutés. Il est définitivement obsolète ; l’heure est à la conquête, avec la brutalité démente du fanatisme, de l’idée d’une terre sacrée qui appartiendrait de droit divin au peuple juif2.

Ce que l’avenir promet aux Palestiniens ? Les colons illuminés des « avant-postes » leur en donnent déjà un avant-goût. De plus en plus nombreux, ils attaquent les habitants et volent leurs terres au profit de leurs implantations, avec la complicité plus ou moins active de l’armée. La marque d’une société en voie de fascisation : d’après un sondage récent, 37 % des juifs israéliens sont désormais en faveur d’un grand Israël dominé par les juifs, contre 34 % pour une fantomatique « solution à deux États » et moins d’un quart pour une Palestine binationale et démocratique3. Le nouveau gouvernement annonce d’entrée la couleur. D’abord par des assauts de l’armée dans les camps palestiniens – les plus meurtriers depuis la fin de la deuxième Intifada en 2005. Puis, après les deux attaques des 27 et 28 janvier à Jérusalem-Est, Netanyahou se frotte les mains et annonce l’arrestation et l’expulsion des proches des « terroristes » et la libéralisation du port d’armes.

Faire régner la terreur pour contraindre les Palestiniens à abandonner leurs terres, la méthode a déjà été éprouvée en 1948 et il ne s’agira pas, cette fois, de dire qu’on ne savait pas. De la Palestine à la Papouasie en passant par le Sahara occidental, le Xinjiang et le Tibet, face aux divers visages du colonialisme tous les silences sont complices.

Illustration de 6Col

1 Les courants religieux refusent en particulier que leurs membres soient soumis au service militaire ; certains d’entre eux pensent par ailleurs que la fondation d’Israël ne peut résulter que de la venue du Messie.

2 Voir l’article « Israël : vers la rupture ? », K. (04/01/2023).

3 « Israeli-Palestinian Poll Shows Support for Two-state Solution at All-time Low », Haaretz (25/01/2023).

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CQFD n°217 (février 2023)

Alors que le mouvement contre la (énième) réforme des retraites s’intensifie, nous ouvrons ce numéro de février par analyse et témoignages... en attendant la grève générale ? Ce n’est pas sans rapport, vu la répression brutale qui a répondu aux dernières grandes mobilisations populaires (loi Travail, Gilets jaunes...) : notre dossier du mois est consacré aux luttes qui défliquent. Huit pages en mode ACAB pour mettre en lumière celles et ceux qui réfléchissent et agissent pour un monde sans police. On revient également, via un long entretien avec le journaliste Rémi Carayol sur le fiasco de la présence militaire française au Sahel. On parle de murs à abattre. Mais ce n’est pas tout... Demandez le programme !

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