Illuminer la nuit ! Enhardir les esprits !

J’ai devant moi deux livres se flattant d’appeler au dépassement du capitalisme et de la logique productiviste. Survolons-les cauteleusement. Pris en main par les éditions Utopia, le premier d’entre eux, Laboratoire pour un socialisme au XXIe siècle, ne m’a, d’emblée, rien dit qui vaille. Vu que son auteure, la sociologue chilienne Marta Harnecker, dirigea jusqu’au coup d’État contre Allende le mollasson journal de l’Unité populaire Chile Hoy, qu’elle s’affiche comme une disciple de l’amphigourique Althusser et qu’actuellement elle conseille politiquement le gouvernement du Venezuela. Allons y voir de plus près.

Marta Arnaque propose que « le mode de vie et l’engagement des militants révolutionnaires préfigurent la nouvelle société ». Ah, très bien, mais pour en arriver où ? « Nous devons être démocratiques, solidaires, prêts à pratiquer la camaraderie, l’honnêteté, la sobriété. » Jambon à cornes ! Le mot est lâché. Pour cette grognasse qui entend enseigner aux masses populaires dans un de ses livres, best-seller en Amérique latine, Les Concepts de base du matérialisme historique, la nouvelle société de rêve, ce sera la sobriété généralisée. Planquons vite nos bouteilles de gnole, les commissaires du peuple altermondialistes nous guettent !

Réfugions-nous dans l’autre ouvrage, sensiblement moins antipathique. Zazirocratie d’Yves Citton (éd. Amsterdam) nous branche sur un fort plaisant utopiste dévissé, l’obscur médecin normand Charles-François Tiphaigne de la Roche qui, dès 1760, anticipa la photographie, la nourriture lyophilisée, la digitalisation, les phéromones, les lentilles de

par L.L. de Mars

contact et les nanotubes. On peut tenir de surcroît son récit L’Empire des Zaziris sur les humains ou la Zazirocratie (1761) pour une radiographie frappante de nos régimes biopolitiques. « Les Zaziris, relève Yves Citton, ce sont tous les simulacres qu’immobilisent les désirs vers la croissance de nos économies consuméristes. La zazirocratie, c’est un régime qui épuise nos vies à force de vouloir les enrichir. » Tiphaigne de la Roche, selon certains de ses exégètes, ne serait pas seulement un annonciateur du despotisme biopolitique néolibéral et des sociétés de contrôle moderne, c’en serait un des pères fondateurs. À ceci près que se profilerait par ailleurs dans ses analyses de la biopolitique un « puissant répertoire des formes de résistance possible à ces dérives ». Il s’agit bien et dûment pour le savant voyant de « détourner la biopolitique de ce qui paraît être son évolution actuelle comme un navire qu’on arraisonne ».

Une raison encore de s’intéresser à Tiphaigne : la façon dont il s’est toujours opposé au « ton de dignité » qui « en impose » et « dont on est la dupe » omniprésent dans les activités universitaires. Ce qui lui importait à lui, tout au rebours, c’était de contribuer par son badinage et son enjouement à « enhardir les esprits ».

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