Médias libres

Iaata : L’ordre règne dans la ville rose  !

Le site « Information anti autoritaire Toulouse et alentours » (Iaata) est dans le viseur des autorités depuis le début du mois de mai. Surprise ! c’est par la presse1 que l’équipe apprend que la plateforme d’infos qu’elle anime est poursuivie en justice et que son prétendu administrateur a été placé en garde à vue… Reportage.

En ce dimanche brumeux de la fin du mois de mai, c’est jour de marché dans le quartier de Saint-Aubin à Toulouse. Après une série de messages téléphoniques et autres SMS, nous avons obtenu un entretien avec deux personnes susceptibles de nous éclairer sur l’affaire Iaata. « On se retrouve sur les marches de l’église Saint-Aubin. » Et d’aviser donc un petit groupe, hommes, femmes et chiens confondus, dégustant force bières et apostrophant les bigotes sortant de cette sacrée enceinte. « Salut, je suis Iffik de CQFD, on a rendez-vous ? » La réponse en forme de « Mmmh » est aussitôt interprétée comme un acquiescement. Quelques minutes passent sans que le groupe, pris dans d’audacieuses hypothèses mêlant Viagra et âge du capitaine, ne calcule l’intrépide reporter. C’est le moment pour lui de proposer d’aller chercher quelques rafraîchissements supplémentaires. « Mmmh », derechef. Encouragé, il se met en chemin quand il aperçoit deux types qui semblent en attendre un autre. « Salut, je suis Iffik de CQFD, on a rendez-vous ? » Confirmation explicite cette fois  : « Ouais et ça fait un bon bout de temps  ! »

Attablé autour d’un petit jaune d’après marché, nous entamons enfin la discussion. L’inculpé dans cette affaire commence par raconter les conditions de son interpellation et de sa garde à vue. « Le 6 mai, ils ont débarqué chez moi à 6 h 30 du matin avec deux questions  : “vous connaissez Iaata” et “vous nous laissez perquisitionner ?” Ensuite, ils m’embarquent pour une garde à vue d’une dizaine d’heures. Ils me parlent de traces informatiques – une adresse IP sur un renouvellement de nom de domaine qui date d’un an – qui leur auraient permis de m’identifier comme étant un administrateur du site. Je leur précise que si je suis lecteur et solidaire de la presse libre, je n’ai aucune responsabilité dans ce projet, néanmoins fort sympathique. » Il est vrai qu’à ce propos, la consultation du site en question aurait dû permettre aux pandores de s’épargner un peu de salive et un démarrage de la journée de boulot dès potron-minet. Son « originalité », dans la lignée des collectifs Indymedia qui ont essaimé à partir du début des années 2000, est de mettre à disposition une plateforme collaborative pour échanger des informations2 non ou peu relayées par les médias officiels. Donc pas de chef ni de professionnels de la profession, pas de comité éditorial ni de directeur de la publication mais des contributions nombreuses et variées, une publication ouverte et une modération a priori réalisée par une équipe fonctionnant de manière horizontale. Néanmoins, pour les flics, et le procureur qui a diligenté l’enquête préliminaire, il y a nécessairement une cellule secrète œuvrant dans l’ombre pour abattre la République. De toute façon, il faut un coupable à embastiller. « Au commissariat, ils ont cherché à savoir qui avait écrit l’article intitulé “Lapins de Garenne, acte 2” en usant de pressions classiques, menaçant de s’en prendre à mes colocataires, d’aller chercher mon fils au lycée. »

Cet article, publié le 1er mars dernier sur Iaata, serait une « provocation publique à la commission d’un délit ou d’un crime », un délit punissable de 5 ans de taule et 45 000 euros d’amende. Parmi les dizaines d’autres commentaires dénonçant la répression brutale des manifestations qui ont suivi la mort de Rémi Fraisse à Toulouse et ailleurs, son auteur faisait état de quelques conseils, somme toute assez connus, pour éviter de se faire tirer comme un canard sauvage dès que la situation commence à dégénérer avec les forces de l’ordre. Cependant, dans le contexte d’un tour de vis sécuritaire, à Toulouse comme ailleurs sur le territoire national, à l’encontre de tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à un zadiste, le gouvernement et ses représentants en régions semblent faire le choix d’une application très stricte des dispositions limitant la liberté d’expression contenues dans la loi de 1881 sur la presse. Ce qui a pour effet de placer les conseils précités au même niveau qu’un appel au pogrom. Un virage qui n’est pas démenti par les propositions de la Commission d’enquête parlementaire sur le maintien de l’ordre rendues publiques le 28 mai dernier. Après l’interdiction administrative de certains sites facilitée par les mesures réprimant l’apologie du terrorisme, voici venir l’interdiction administrative de se rendre à une manifestation sur le modèle de l’interdiction de stade pour les hooligans. Au milieu de ce déferlement si peu dans l’esprit Charlie, l’inculpé 1 74 09 99 192.168.0.1 (comme il se présente en référence aux traces numériques qui auraient permis de remonter jusqu’à lui) attend son procès. Venir le soutenir le 29 juin prochain3, c’est s’opposer à la surveillance généralisée qui s’apprête à broyer n’importe lequel d’entre nous.

Le retour du bâillon

Le communiqué ci-dessous a été rédigé et signé par divers journaux, revues et sites d’information indépendants, dont CQFD. Il est publié conjointement sur plusieurs sites et plateformes.

Retour du baillon - Communiqué

Premiers signataires (17 juin 2015) : Jef Klak, Revue Z, Article 11, Paris-luttes.info, CQFD, La lettre à Lulu, La Rotative, Éditions Libertalia, Le Jura Libertaire, Le collectif Bon pied Bon oeil, La Brique, Rebellyon.info...

Médias « libres », pour de bon

« J’abdique », a déclaré le parquet en ouverture du procès ce lundi 29 juin contre la personne qui était suspectée d’être directrice de publication du site d’information toulousain Iaata, et qui risquait 5 ans de prison et 40 000 euros d’amende pour un compte rendu de manif publié en ligne. Le procès n’aura même pas eu lieu, les accusateurs ayant plié devant les conclusions envoyées par la défense avant l’audience. Une belle déculottée pour des magistrats aussi impulsifs que vindicatifs, qui voulaient par cette attaque intimider celles et ceux qui protestent contre les violences policières et la mort de Rémi Fraisse. Cette tentative de procès aura au moins renforcé la solidarité envers les médias libres. Longue vie !


1 Dans 20 minutes du 7 mai 2015.

2 @|LIEN6772844|W2lhYXRhLmluZm8tPmh0dHBzOi8vaWFhdGEuaW5mby9d|@ fait partie de « Mutu », un réseau de médias libres où l’on trouve aussi @|LIEN6772844|W1JlYmVsbHlvbi0+aHR0cDovL3JlYmVsbHlvbi5pbmZvL10=|@, @|LIEN6772844|W3BhcmlzLWx1dHRlcy5pbmZvLT5odHRwOi8vcGFyaXMtbHV0dGVzLmluZm8vXQ==|@, @|LIEN6772844|W0xhIFJvdGF0aXZlLT5odHRwOi8vbGFyb3RhdGl2ZS5pbmZvL10=|@, …

3 Un rassemblement de soutien est prévu à partir de 12 h devant le TGI de Toulouse.

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Paru dans CQFD n°133 (juin 2015)
Dans la rubrique Médias

Par Iffik Le Guen
Mis en ligne le 18.06.2015