Havre de grève

Les prolos du Havre se sont faits journalistes le temps du mouvement contre la réforme des retraites. Le résultat ? Le Havre de grève, une publication libre et ouverte destinée à développer la lutte sur le terrain, et une belle aventure collective. Un succès, quoi.

« Chaque numéro a été diffusé à plusieurs milliers d’exemplaires sur le Havre et ses environs, raconte Christian, militant de Sud. Ce petit journal était attendu et reconnu par tous et chacun s’en sentait propriétaire. » Entre le 13 octobre et le 24 novembre, ce sont vingt numéros du Havre de grève, feuille d’informations locale imprimée recto, qui auront été distribués quasi quotidiennement dans les rues, sur les lieux de blocage et de barrage, ainsi que dans les entreprises. Témoignages sur les grèves en cours, annonces des actions et rendez-vous à venir, bilan quotidien sur les fonds de la caisse de soutien aux grévistes, invitation à se rendre à l’AG, cette gazette s’est évertuée à encourager et à développer le mouvement. Dans une colonne, un encart présente à chaque fois un chiffre scandaleux : ici, « les 146 milliards d’euros disponibles dans les entreprises du CAC 40 pour aller bouffer d’autres entreprises… le pognon, on sait où le trouver. » Là, « les 72 heures de travail par an que donnait un salarié aux actionnaires en 1980 mis en comparaison avec les 189 heures qu’il donne aujourd’hui… » Précision essentielle, le sous-titre indique : « Le Havre de grève est un bulletin d’information sur la mobilisation contre les retraites publié par l’assemblée générale interprofessionnelle. Il se veut être la parole et le lien entre les grévistes de tous les secteurs en lutte et la parole de l’assemblée générale interprofessionnelle. »

Christian précise que « l’Interpro se réunissait tous les jours dans la bourse du travail et rassemblait indistinctement militants de la CGT, de la CFDT, de la FSU, de Solidaires et non syndiqués. » Et il constate, non sans une certaine fierté : « Tout le monde y avait le droit à la parole sans calcul de sa propre appartenance. Ce qui est important, c’est la totale confiance entre nous tous, qui remonte au mouvement de 95. On a toujours été très grévistes par ici… » Installée face à la salle, l’intersyndicale se tient en direct devant l’assemblée générale. Dès l’AG terminée vers 19h30, une petite dizaine de personnes se regroupe en vue de la fabrication du canard dont le contenu est la synthèse des débats et l’exposé des décisions qui ont été prises ensemble. Exit la propagande de chapelle. Ce sont les prises de position collectives de l’interpro que le bulletin répercute en appelant à la grève générale immédiate, à la généralisation des blocages, à la création de coordination et au retrait de la loi, toutes perspectives bien éloignées des concessions et ambiguïtés des confédérations. « Quatre ou cinq personnes rédigent, avant qu’une dizaine de relecteurs n’achèvent le boulot », ajoute Christian. Vers 20 h 30, la maquette, réalisée sur un logiciel de base, part dans plusieurs directions : vers les syndicats qui fournissent le papier et font chauffer les photocopieuses, vers des salariés qui perruquent dans leurs boîtes, et aussi par mail, permettant à chacun d’imprimer et de diffuser à son gré la feuille d’infos. Une manière de tisser lentement la corde qui pourrait pendre un de ces jours quelques avionneurs et autres industriels et financiers…

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Paru dans CQFD n°84 (décembre 2010)
Dans la rubrique Ma cabane pas au Canada

Par Gilles Lucas
Mis en ligne le 12.01.2011