Rurbain

Guerre froide et artichauts

Non, on ne connaît pas tellement de paysans qui vont au travail en tram. Pourtant, c’est bien ce que font tous les jours Armelle et son compagnon, Franck, pour aller cultiver en plein quartier des Caillols, à Marseille, leur petit lopin de terre. Et ce depuis mars 2011. Mais jusqu’à quand ?

Par-delà les 4 000 mètres carrés de maraîchage, on devine la ville. Lotissement résidentiel par-là, lycée technique par-ci. Des tours d’immeubles un peu plus loin. Le sourire en coin, Armelle Debroize demande : « Vous en connaissez beaucoup, vous, de paysans qui prennent le tramway pour aller sur leurs champs ? » Puis elle enfonce un doigt dans la terre au pied d’un plan de tomate, pour voir si c’est assez humide et chaud. La dame, souriante, s’est reconvertie autour de la cinquantaine, laissant tomber le dessin en bâtiment. Formation agricole « pour adulte », puis le travail sur le terrain pour d’autres agriculteurs. « J’ai toujours aimé faire du potager. Alors, je me suis dit que je n’avais qu’à en faire mon métier. » En fait, la terre, Armelle l’a dans le sang : ses parents étaient agriculteurs en Bretagne. « Vers vingt ans, je voulais reprendre la terre. Mais je ne pouvais pas… J’étais une fille et j’avais des frères. Alors j’ai fait autre chose.  »

Par Julien Tewfik

Franck s’occupe du goutte-à-goutte aux quatre coins du champ pendant qu’Armelle ramasse à la main quelques gousses de fèves bien dodues…, mais peu nombreuses. « Avec le temps qu’on a en ce moment..., c’est dur ! » En effet, le printemps n’arrive pas. Il pleut trop et ne fait pas assez chaud. La production prend du retard. Pire ! Les nuisibles, pucerons en tête, pullulent. « Évidemment , on est entièrement bio. Regardez, heureusement qu’il y a les coccinelles ! Allez, les petites ! » Armelle insiste : « On est bio et certifié. Ça a un coût et c’est compliqué. Mais ça me paraissait important que les gens soient sûrs. Nous, on ne vend que du bio et que notre propre production. »

Deux fois par semaine1, Armelle et Franck vendent en direct, devant leur champ, ce qu’ils ont ramassé le jour même à une clientèle d’habitués. Une petite dame à l’accent à couper au couteau vient à chaque fois et se « régale » : « Nous, on veut de la petite production. De la bonne !  » Elle se souvient du temps où, aux Caillols, il y avait des vaches et des yaourts fermiers. « Et on achetait des caillolais, des vrais ! C’était la spécialité du coin ! Mais ça n’existe plus. Maintenant, c’est la ville.  »

Malgré les fidèles, les temps sont durs. En plus de la météo quasi hivernale, des pucerons, des liserons, de la pression du banquier – Armelle n’a jamais gagné plus de 800 euros par mois avec son champ –, il y a un risque d’expulsion au-dessus de sa tête. En 2011, notre paysanne urbaine s’était associée avec Mme Crochemore, afin de répondre à un appel d’offres de la ville pour une délégation de service public. Il s’agissait de s’occuper d’une ferme pédagogique pendant au minimum sept ans. La mairie exigeait deux personnes : la délégataire pour faire l’accueil des bambins, la visite de la ferme et ses animaux. Ce serait Mme Crochemore. L’autre, Armelle, devait gérer une exploitation agricole, biologique et viable. Une subvention de 30 000 euros à la clef et surtout un hectare pour Armelle à mettre en maraichage : son rêve. Mais très vite, c’est la déception : l’hectare a fondu jusqu’à 4 000 m22. Et, neuf mois après leur installation, une fois le champ bien en place, Mme Crochemore demande à sa partenaire de quitter le terrain. Pour quelle raison ? Cela reste obscur. Mésentente ? Jalousie ? Incompréhension ? Il n’empêche qu’Armelle est menacée de perdre son champ, son boulot, sa joie de vivre… Et sans recours, car la mairie n’a signé qu’avec la délégataire. Une faille juridique qui gâche la vie de ces maraichers citadins.

Armelle refuse de partir : « On n’a pas fait tout ça pour laisser tomber sans aucune raison valable », s’entête-t-elle. Norbert, client venu « d’en face, en voisin », ajoute qu’« ils ont tout notre soutien. On va se battre !3 »

Avec le sourire, Franck donne à goûter une poignée de petits pois tout frais sortis de leur gousse. Cru ? « Bien sûr, crus ! Ils sont délicieux. Ces pois, ce sont des nains de Provence. Une essence locale. Comme les artichauts, des violets de Provence. Un délice. Faut tout manger, même la queue. Vous m’en direz des nouvelles. »4


1 À la Ferme du Collet des Comtes, les mardis et vendredis de 16 h 30 à 18 h 30 jusqu’à mi-décembre, au 137, bd des Libérateurs.

2 Pas assez grand pour qu’elle soit reconnue comme agricultrice à part entière et puisse, donc, cotiser pour la retraite, toucher quelques aides ou se faire rembourser la certification.

3 Une pétition, lancée par Solidarité paysan Provence et la Confédération paysanne circule.

4 Comme à CQFD on vérifie toujours nos informations, on a mangé la queue des artichauts. Et c’était bon.

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