La casa del pueblo, unida, jamás será vencida

Gros comme une maison du peuple

Montpellier, Saint-Nazaire ou Caen avaient déjà la leur1. Alors quelques Marseillais ont décidé de faire pareil : ouvrir une Maison du Peuple dans un bâtiment désaffecté, pour soutenir les luttes sociales du coin. C’était tout début juin. Et ça tient méchamment la route.
Photo Tomagnetik
« Nous sommes ici par la volonté de la Maison du Peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes. »

(Mirabeau)

Samedi 1er  juin, fin de manifestation Gilets jaunes à Marseille, le mot tourne : un lieu a été ouvert par quelques personnes la veille, il s’agit maintenant de l’investir. Le rendez-vous est donné à 18 h devant l’église de Notre-Dame-du-Mont, où deux-trois camarades nous orientent : « Par là-bas, rue Brochier, jouez-la discret ». Des petites grappes de personnes se dirigent mine de rien vers le lieu indiqué, surjouant les badauds. Arrivés à l’adresse indiquée, un ancien bâtiment de Pôle emploi (vengeance !), on se faufile par un grillage tordu, on se glisse derrière des rangées d’arbustes, on passe sous le porche et on entre, sourires aux lèvres. Maison du Peuple, nous voilà.

À l’intérieur, c’est l’effervescence. Une cinquantaine de personnes s’occupent à différentes tâches : bricoler, tirer des plans sur les comètes, barricader l’endroit en prévision d’une attaque des bleus, jauger le risque d’expulsion... Derrière, des flux d’arrivants rejouent la comédie joyeuse de la découverte des lieux, s’extasiant du nombre de pièces et de l’espace disponible (600 m²). Oui, l’ambiance est au beau fixe. Il faut dire que cela fait belle lurette que les tentatives d’ouverture de squat à Marseille tournent au vinaigre, alors personne ne crache sur une bouffée d’air.

Une heure plus tard débute la première AG, dans une salle lépreuse aux rideaux tirés. Une petite centaine de personnes disséminées au sol, discutant à la fois des aspects concrets et politiques. Quelles techniques pour faire barrage à une possible expulsion ? Faut-il loger des gens entre ces murs ? Comment faire du lieu un espace agréable de discussion, de construction, de propulsion du mouvement social, de convergence des luttes ? De quoi causer, yep.

La discussion est un peu brouillonne, forcément, parfois dispersée tant les énergies bouillonnent. Mais très vite des axes se dessinent, alliant ouverture sur l’extérieur et ambition militante. Diffusé au petit matin, le premier communiqué de presse donne le la2 : « Nul besoin d’expulser la mairie. Nous avons décidé d’ouvrir la nôtre. Notre Maison du Peuple ».

Home sweet home

En arrivant, forcément, c’était un sacré bordel. Inoccupé depuis un bail, le bâtiment était certes vaste, mais aussi vide et déprimant. De grandes pièces carrelées, moches, encombrées de tuyaux ou de néons morts. Pôle emploi, quoi, mais après le passage d’un typhon.

Mais quelques semaines plus tard, même s’il y a encore du taf, c’est le jour et la nuit. Dans le « salon Rémi Fraisse », une petite bibliothèque faite maison, plutôt bien fournie, côtoie un coin détente avec canapé. La « salle de cours Ibrahim Ali3 », repeinte et rafraîchie, donne clairement envie de reprendre l’école. Un petit cagibi déborde de fruits et légumes récupérés et de sandwichs. Plus loin, le coin chill, où quelques caniculés descendent des bières achetées au « bar de la Convergence », tenu avec rigueur par deux volontaires, penchés sur le livre de comptes. Juste à côté, un gamin prend en main la destinée de l’équipe de football de Chelsea, sur Playstation. Bref, il y a de la vie. Et les activités se multiplient : « coiffeur du peuple », « boxe populaire », « atelier boycott », « atelier création de sites Internet »... Squatteurs, certes, mais pas là pour se tourner les pouces.

Quelques personnes vivent sur place, assurant la maintenance et la surveillance des flics. Tout n’est pas facile, comme toujours dans les lieux de ce genre, mais la cohabitation fonctionne. Quelque chose déconne ? On en parle en AG. Ça peut aller des questions de ménage (éternelle vaisselle non faite) à celle des méthodes de prise de décision. Au menu récemment : la question de la rénovation de la « salle Zineb Redouane », recouverte de tags certes pertinents – « Jaune /Noir, jamais l’un sans l’autre » – mais pas très esthétiques. Faut-il faire appel à des graffeurs de l’extérieur ? Tout repeindre en blanc ? Organiser un atelier peinture murale pour que chacun puisse apporter sa touche ? Pas si anodin.

Tenir les murs

Au-delà du quotidien et de cette vie collective qui s’invente, la survie de la Maison du Peuple est essentielle dans la torpeur marseillaise, où tout s’écroule et se fissure, de La Plaine à Noailles. Il s’y tient de nombreuses réunions en lien avec les luttes du moment – Gilets jaunes, évidemment, mais pas que –, des débats, des ateliers, des bouffes collectives... De quoi opérer des convergences, souder les troupes, relancer les collectifs.

Le 27 juin, le lieu était convoqué au tribunal pour un procès en référé, suite à la plainte de la propriétaire (privée). Au rassemblement de soutien, sous la canicule, les brumisateurs manuels bruissaient au rythme des conversations sur l’avenir du lieu. Même pour les plus pessimistes, l’expulsion ne saurait se faire avant septembre, vu la lenteur des procédures. Pour les plus optimistes, on est là pour toujours et pis c’est tout, merde alors. L’argument à opposer aux pisse-froids tourne partout : le lieu allait être vendu au Département pour qu’il en fasse un Pôle d’insertion ; or, quel plus beau « pôle d’insertion » que la Maison du Peuple, qui voit cohabiter des gens de tous les horizons, galériens, militants, chômeurs, bosseurs, tous unis contre ce monde clos et glacial que mijote la Macronie ?

Verdict : le procès a été repoussé au 4 juillet, juste après l’impression de ce numéro. Ça ne fait pas l’affaire du présent rédacteur, réduit aux conjectures. Mais ça laisse à penser que le lieu passera l’été, et sans doute plus. Comme le clame le slogan de l’église protestante installée juste à côté de la Maison du Peuple : « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ». Si même le voisinage religieux le dit…

Émilien Bernard

P.S. du webmaster à la mi-septembre : le rédacteur de cet article ne s’y trompait pas ; eh oui, le lieu est toujours là...


1 Voir notamment « Saint-Nazaire, l’assemblée en herbe », CQFD n°176 (mai 2019).

2 On le trouve facilement sur Squat.net.

3 Jeune Marseillais assassiné par des nervis du FN en février 1995.

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