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Football : « Il y a encore des clubs qui refusent d’entraîner des filles »

Depuis le mois de janvier, La Voix du Nord diffuse « Déterminées », une minisérie inédite qui suit l’équipe féminine de football de Roubaix-Wervicq. Réalisée par la journaliste Lisa Lasselin, elle met en lumière la parole des joueuses pour dénoncer le sexisme dans le monde du sport.
Photo : La Voix du Nord

À les voir en pleine action, le dribble au bout du pied, on ne les imagine pas ailleurs que sur une pelouse. Pourtant, les joueuses du club amateur de football de Roubaix-Wervicq1 ont dû se battre pour pratiquer leur sport. Rejetées par les garçons, défavorisées dans les structures mixtes, toutes ont en commun d’avoir subi les multiples formes de sexisme qui font du football un milieu hostile aux femmes. Des parcours sinueux et semés d’embûches que raconte la série Déterminées, réalisée par la journaliste Lisa Lasselin2. À l’origine de son projet, une question simple : « Je voulais voir si les filles subissaient des discriminations et comment elles pouvaient me les raconter ». Maillots sur le dos et en toute franchise, les joueuses se confient tout au long des dix épisodes en cours de diffusion sur ce que leur pratique sportive a de politique.

« Tout pour les mecs, rien pour les filles »

Bien souvent, le premier combat se joue face à l’entourage : « J’ai commencé le foot à dix ans parce que mes parents ne voulaient pas que j’en fasse avant  », confie une joueuse à la caméra3. Si leur père et leur frère ont toujours côtoyé la pelouse, les filles, elles, sont maintenues à distance du ballon rond : « Ils voulaient que je fasse de la danse  », se souvient Laura en souriant. Passé cette première épreuve qu’est l’inscription, c’est sur le terrain que commence le plus dur. Au contact des garçons, elles sont mises à l’écart : « Ils veulent pas te faire la passe  », « ils te disent que le foot c’est pas pour toi ». Loin d’être des cas isolés, ces stéréotypes prennent racine dans une longue histoire. Pour la sociologue Béatrice Barbusse, le sport est traditionnellement « le lieu où s’exerce l’apprentissage de la virilité et de la sociabilité masculine »4. Autrement dit, dès l’enfance, les filles doivent gagner leur place dans un impitoyable entre-soi masculin.

« Il y a encore des clubs qui refusent d’entraîner des filles »

Ces conditions difficiles expliquent un phénomène de décrochage sportif plus important chez les filles, particulièrement durant l’adolescence : à l’âge de 14 ans, 31 % des filles ne renouvellent pas leur licence, contre seulement 22 % des garçons5. Pour celles qui résistent, les discriminations se poursuivent avec plus de force encore. Ainsi, quand elles veulent se lancer dans la compétition, trouver une structure de formation devient un vrai parcours de combattantes. Lycéenne en sport-études, Camille évoque la difficulté pour intégrer un établissement : « Il faut se déplacer loin. C’est moins développé que chez les hommes ». Trop peu de clubs ou de centres de formation sont en effet accessibles pour les jeunes joueuses et il faut souvent faire des kilomètres pour se rendre à un simple entraînement. Dans les Hauts-de-France justement, la websérie nous apprend que seuls 20 % des clubs disposent d’une équipe féminine. Laurence Demailly, conseillère technique régional de la Ligue des Hauts-de-France et ancienne footballeuse professionnelle, le déplore : «  Il y a encore des clubs qui refusent d’entraîner des filles […] On refuse à des citoyens la pratique d’un sport ». Dans ce cas, la conséquence est simple, « c’est l’abandon », les filles raccrochent les crampons.

Pour celles qui trouvent un club, les discriminations persistent. Temps d’entraînement, budget, équipements, salaires, contrats, médiatisation… les joueuses passent toujours après leurs homologues masculins. « Ça nous est arrivé de nous changer en plein milieu du terrain parce que les garçons occupaient les vestiaires », raconte une joueuse. Derrière d’innombrables anecdotes, on retrouve une réalité commune : « Tout pour les mecs, rien pour les filles », confirme Jean-Baptiste Gallen, le président du club Roubaix-Wervicq.

Faire bouger les lignes

Malgré l’hostilité sexiste des sports de compétitions, de plus en plus de filles se mettent au foot : selon la Fédération française de football, le nombre de licenciées a doublé entre 2010 et 2020, passant de 100 000 à 200 000. La clé de cette évolution ? « La médiatisation, nous répond Lisa Lasselin par téléphone. C’est très important pour faire entrer dans les consciences que les filles peuvent jouer au foot et qu’elles peuvent être professionnelles.  » Mais, une fois licenciée, le combat des footballeuses ne fait que commencer, et il leur faudra une bonne dose de détermination pour continuer à faire bouger les lignes.

Célia Merckens, stagiaire à CQFD

1 La première équipe du Racing Club Roubaix Wervicq Féminin évolue en Régional 1 et occupe actuellement la tête du classement.

2 Les neuf premiers épisodes sont actuellement disponibles sur le site de La Voix du Nord.

3 Tous les témoignages de footballeuses dans cet article sont tirés de la série.

4 Comme elle le raconte dans son ouvrage, la construction de l’organisation du sport en France au début du XXe siècle s’est faite sur une radicale hostilité à l’encontre de la pratique sportive féminine.

5 « Se mettre au football, arrêter le football. Quantifier les contraintes à la pratique des femmes », Staps n° 131, 2021.

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