Genre

Farida Belghoul : « Vaincre ou mourir »

Un nouveau phénomène de foire fait les délices des médias avides de scandale et fait trembler l’école républicaine. Farida Belghoul, ancienne égérie des luttes de l’immigration devenue figure réactionnaire, plutôt du genre exaltée, fait le buzz sur la toile et remplit les salles. Son combat : mettre à bas une pseudo-théorie du genre qui serait enseignée dans les écoles. Compte-rendu d’une conférence marseillaise.

Farida belghoul insiste. «  J’ai bien dit : “Vaincre ou mourir !”  » Ouille. C’est que ça doit être grave. Pour elle, ça l’est : l’éducation nationale tripoterait les neurones des minots avec des idées pas propres, et saperait les fondements même de notre société. L’homme, la femme, le couple, les enfants, la famille, c’est terminé tout ça. Elle – avec d’autres, souvent d’extrême droite – nomme cela la théorie du genre. Un exemple ? Tel livre pour enfant qui proposerait comme modèle familial deux femmes et deux hommes – « une véritable partouze », s’indigne Belghoul. « En 2011, dans les manuels de sciences de la vie et de la terre, on expliquait que l’on pouvait devenir homme ou femme. […] Des profs disaient : “On va pouvoir changer de sexe plusieurs fois dans la vie” », soutient-elle. Ils trouvaient ça formidable, paraît-il. Farida Belghoul, elle, trouve ça dégueu. Elle le fait savoir en organisant depuis le mois de janvier dernier des Journées de retrait de l’école (JRE)1 – les parents n’amènent pas les minots en classe pour protester contre l’enseignement supposé de la négation des différences. Elle affirme que le 10 février, suite à son appel, 17 000 enfants n’ont pas été scolarisés dans toute la France.

Par Charmag.

Le hic, c’est qu’il n’y a pas de « théorie du genre ». Et que, par conséquent, elle n’est pas enseignée dans les écoles. Il y a bien des études qui distinguent le « genre », la construction sociale du sexe biologique, mais elles ne pénètrent pas vraiment les salles de classe. L’éducation nationale s’échine tout au plus à inculquer aux gamins l’égalité des sexes, à donner des cours d’éducation sexuelle, à expliquer qu’un garçon peut s’habiller en rose et une fille manier un vilebrequin, et que, si, si, deux personnes du même sexe peuvent parfois se frotter, et même s’aimer. Rien qui, a priori, ne menace directement le mariage, la famille et la procréation. Bref, pas de quoi chambouler l’univers de madame Michu.

Sauf que Farida Belghoul n’est pas de cet avis. Lors de sa conférence du 23 février dernier dans le 15e arrondissement de Marseille au Diamant Palace, cette ancienne militante communiste fustigeait « l’égalité homme-femme » à laquelle elle préfère la « complémentarité » entre les deux sexes. Car «  cette fausse égalité conduit à ce que nos enfants finissent par être sacrifiés. » Ce serait donc l’égalité le problème… C’est pourtant ce qu’elle exigeait pour les minots des quartiers, en 1984, lorsqu’elle participait activement à la deuxième marche pour l’égalité (justement) organisée par son association Convergence 84. Mais ça, c’était il y a 30 ans. Depuis, après un projet de cours particuliers pour les enfants des quartiers populaires et un soutien à la candidature de Dominique de Villepin aux élections présidentielles, elle a rallié la bande du « nationaliste social » Alain Soral. Dont elle semble être la caution populaire et musulmane.

A l’image du public de cette nouvelle « Jeanne d’Arc » – comme l’aurait récemment qualifié un abbé – très appréciée de Christine Boutin et des cathos traditionnalistes de Civitas. Son objectif ? Faire le lien entre catholiques et musulmans, et ratisser large sur des terres d’ordinaire étrangères à l’extrême droite. À Marseille, Farida Belghoul partageait la tribune avec l’essayiste Albert Ali, fondateur du Rassemblement des musulmans souverainistes, et Salim Laïbi2, dentiste marseillais grenouillant lui aussi dans la sphère soralienne. Ce dernier a récemment posté sur Internet son appréciation sur cette rencontre : « La journée s’est très bien déroulée. Une convergence historique est en train de se réaliser entre les musulmans et les catholiques, mais également avec les agnostiques et autres. »

Malgré les 5 euros à débourser à l’entrée, près de 200 personnes sont présentes dans la salle. L’ambiance est plutôt familiale, on est venus avec les enfants. Il y a quelques gars avec barbe, djellaba et survet’ à trois bandes. Deux ou trois autres ont plutôt des looks de travellers, avec barbiche et cheveux longs. Mais, globalement, le public n’a rien de particulier : nous sommes dans les quartiers Nord, et il ressemble aux gens que l’on croise le dimanche au marché aux puces des Crottes. Mais on trouve aussi dans les rangs quelques «  catholiques français de souche », comme se définit l’un d’eux. Il se dit heureux de ce « rapprochement avec les musulmans à travers cet ultime combat », musulmans avec qui il se trouve, du coup, des points communs : « L’autre jour, un livreur est venu, il était coloré. Nous avons parlé de la théorie du genre, et nous nous sommes sentis très proches. Nous avons quelque chose à faire ensemble. »

S’ils se sentent si proches, c’est que le discours est bien rodé. Quoi de plus simple que de rallier sous une bannière aussi universelle que celle des minots ? Qui est pour l’apprentissage de la masturbation à l’école primaire ? Pour la pédophilie ? Personne, bien évidemment. Or, pour les tribuns, c’est ce à quoi mène la théorie du genre. Farida Belghoul insiste : « Si l’on ne gagne pas, nos enfants seront sacrifiés sous nos yeux. » Un point. Salim Laïbi renchérit : « Les élites sont complètement dégénérées. » C’est un peu démago, mais ça fonctionne. Deux points. Ils sont « tous pourris : Cahuzac, Balkany, Dassault ». Trois points. Et si on y ajoute les francs-maçons… « Jean-Marc Ayrault a parlé de “dépénalisation universelle de l’homosexualité”. Or l’universalisme n’est elle pas une notion franc-maçonne ? » Quatre points. On enfonce le clou ? Listons ces « pédophiles » célèbres, dont certains nous gouvernent : « Frédéric Mitterrand, Daniel Cohn-Bendit, Jack Lang, Roman Polanski, Michel Polac, Woody Allen. » Cinq points. Pour finir, une bonne couche de radicalité. Salim Laïbi n’est pas pour le débat : « C’est vous ou moi, il n’y a pas de place pour nous deux sur cette planète. » Bingo.

Une fois la salle chauffée à blanc, Farida Belghoul appelle le public à se mobiliser et à convaincre les autres parents du bien fondé de la démarche. Selon elle, si le travail est bien fait, les salles de classe seront vides lors de la prochaine JRE qui devrait avoir lieu en mars. Elle conclut, péremptoire : « Les quartiers Nord vous sont acquis d’avance. Impossible de trouver ici le moindre petit esprit LGBT.3 » Comme si l’homosexualité n’y existait pas… On lui dit ?


1 Dernière en date, le lundi 31 mars.

2 Sur le Web, Salim Laïbi, dit Le Libre penseur, est un grand pourvoyeur de délires conspirationnistes, avec une obsession particulière pour les francs-maçons, les satanistes et les pédophiles, omniprésents selon lui parmi les élites politiques et culturelles. Il déclarait récemment, dans un de ses nombreux soliloques filmés, que les pamphlets antisémites de L. F. Céline constituaient « la plus belle littérature française ».

3 Pour lesbien, gay, bi et trans.

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