Sélection xénophobe par le fric

Étranger, l’art ça se paye !

En novembre, le gouvernement a annoncé pour la rentrée prochaine une forte hausse des frais d’inscription à l’université pour les étudiants extra-européens. Aux Beaux-Arts de Nantes, ce « tri sélectif » a été mis en place dès septembre. Et il ne passe pas.

Sur une plaque chauffante, des galettes fument dans le hall sous une banderole clamant «  Ignorée, donc révoltée, voici la jeunesse ». Lycéens et Gilets jaunes sont là, étudiants de la fac aussi. Faut pas chercher d’étudiant africain aux Beaux-Arts, y en a pas. Mais ceux de la fac, le Guinéen Naïny, le Sénégalais Brahim, sont venus dénoncer la « sélection par le chéquier et la nationalité, non par le dossier ou les projets » et « le contrôle des flux migratoires par cette logique financière ». En Guinée, le Smic est à 42 euros. Avec les hausses annoncées par le Premier ministre, l’inscription à la fac coûtera l’an prochain 2 770 € en licence, soit 65 fois ce salaire minimum. En master (3 770 €), presque 90 fois...

Le 13 décembre, quand il apprend que ses étudiants ont convié lycéens et Gilets jaunes – quelle horreur ! –, Pierre-Jean Galdin, directeur de l’école des Beaux-Arts de Nantes, annule son conseil d’administration et ferme l’établissement. Il s’évite ainsi la quinzaine de peu esthétiques cars de flics promis par le préfet. Par crainte d’une contamination, il octroie un jour de congé au personnel administratif, aux techniciens et aux profs, ne conservant sur place que les agents de sécurité. La faute à sa belle idée de hausse des tarifs d’inscription, entrée en vigueur en septembre dernier, et créant trois catégories : France, Europe et au-delà. Et Nantes devint l’école publique d’art la plus chère de France !

À la rentrée, les étudiants français n’ont subi que 3,45 % de malus, pour un total de 600 € à l’année. Mais c’est 200 % d’augmentation pour les étrangers d’Europe. Et 300 % pour les « non-ressortissants », ceux et celles qui ont le tort d’être d’une nationalité hors Union européenne : 1 200 € par an en licence, 1 800 € en master. Les Beaux-Arts ne relevant pas de l’université, l’explosion des droits d’entrée n’est même pas coordonnée avec les facs. Si Olivier Laboux, président de l’université nantaise, s’affirme publiquement opposé à la hausse des frais de scolarité pour les étrangers, aux Beaux-Arts, où il siège comme administrateur, il a validé sans broncher la sanction financière.

« La porte ouverte à la logique ultralibérale »

L’école vante ses trois campus annexes – à Dakar, Séoul et dans le désert du Texas –, et mène le programme de recherche « Penser depuis la frontière », qui se demande « quels dialogues entretenons-nous avec les outils des intellectuels des Suds ? » On s’y goberge aussi sur les «  circulations et migrations des idées ». Le ronflant dispositif pédagogique se réclame du philosophe italien Sandro Mezzadra, spécialiste des immigrations, du post-colonialisme, du capitalisme contemporain, de l’opéraïsme1...

« Ces frais d’inscription, c’est la porte ouverte à la logique ultralibérale », témoigne John, ancien étudiant en art devenu enseignant en Angleterre, puis cofondateur du Laboratoire d’imagination insurrectionnelle2 et zadiste permanent : « Quand j’ai commencé à l’école d’art de Sheffield, tout était gratuit, pas de frais d’inscription. Aujourd’hui, les étudiants payent 11 000 € par an et finissent leurs études angoissés, avec de 30 000 à 50 000 € de dettes... Près d’un tiers ont des problèmes de santé mentale. » Ce qui mène directement à la logique de soumission à l’économie, conforme au marché de l’art aseptisé, sans transgression sociale ou politique, seul moyen de s’espérer bankable aux yeux d’investisseurs, institutions et autres riches collectionneurs.

Inaugurée en novembre 2017, l’école de Nantes, née du désir d’effectuer des «  économies d’échelle » en regroupant plusieurs sites, prétend incarner une « ouverture sur le monde ». L’esprit est plutôt à la fermeture. Des badges exigés à toutes les portes filtrent tout visiteur non agréé.

Pour justifier ses nouveaux tarifs, le directeur se drape dans un euphémisme officiel : «  Prise en compte de la réalité des coûts pédagogiques  », pour un coût «  très faible par rapport à la concurrence internationale », ajoute-t-il. Mais il est parfois plus cash : « Les étudiants étrangers... On va se dire les choses, aujourd’hui pour les collectivités, y a pas de fric. » Mieux : grâce à ces tarifs dopés, ces étrangers soutiendraient le projet international de l’école, et contribueraient à financer le surcoût du nouveau bâtiment, notamment en sécurité et gardiennage. Autre argument, les parents des non-Européens ne paient pas d’impôts en France – un étudiant étranger paye pourtant taxe d’habitation, TVA... Dans une telle école d’art, la pauvreté, c’est une faute de goût.

Nicolas de la Casinière

1 Tendance marxiste italienne de l’ouvriérisme.

2 Collectif « qui allie art et activisme » : artlabo.org/0/ ?page_id=367

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