États-Unis : Les flics américains, de vrais petits soldats

Résultat d’une militarisation constante de la police depuis plus de vingt ans, les condés états-uniens se comportent comme une armée d’occupation. Même Obama en convient…

Landy Black est fier de son nouveau jouet : un véhicule blindé, résistant aux mines et pouvant essuyer sans danger des tirs nourris. Plus connu sous le nom de MRAP (mine resistant, ambush protected), ce mastodonte surmonté d’une tourelle vaut la bagatelle de 700 000 dollars. Le chef de la police de Davis, une ville universitaire proche de Sacramento, en Californie, en a vanté les mérites auprès du conseil municipal en août 2014. Obtenu gratuitement, rappelle-t-il aux édiles, il s’agit « d’une version légère des blindés que l’armée a utilisés en Afghanistan ». Et Landy Black lui trouve de nombreuses qualités : il consomme peu, est en bon état et permettra à sa police de mieux faire face à tout type d’événements comme en cas de tuerie de masse ou encore si ses subordonnés doivent essuyer des attaques armées. Il reconnaît toutefois à demi-mots que sa capacité de résistance aux mines ne devrait guère lui être utile…

Par Benoit Guillaume.

Quel besoin pouvait avoir cette ville paisible, siège d’une importante université, à se doter d’un tel engin militaire ? C’est précisément la question qu’ont posée des élus à Landy Black, s’appuyant sur une pétition signée par 250 de leurs concitoyens. On peut imaginer que la séance du conseil municipal du 26 août 2014 fut houleuse : venu présenter son nouvel engin, le policier fait face à une résistance inattendue. Il lui est reproché de ne pas avoir discuté avec la ville avant d’acquérir un véhicule qui pourrait accroître les tensions entre une police, désormais militarisée, et la population. Les arguments des pro-MRAP, proposant par exemple de modifier son apparence pour qu’il soit moins effrayant, n’ont pas porté. Le conseil municipal a alors donné soixante jours à Landy Black pour se débarrasser de la bête.

L’opposition de la ville de Davis à la militarisation outrancière de sa police n’est pas commune, tant ce phénomène s’est généralisé aux États-Unis depuis une vingtaine d’années. L’immense majorité des polices locales a pu obtenir gratuitement des surplus de l’armée américaine sans aucune difficulté. Une loi fédérale de 1989 a ainsi autorisé le transfert d’équipements militaires aux forces de l’ordre dans le but de participer à des opérations anti-drogue. Les États-Unis sont alors en pleine « guerre contre la drogue » (war on drugs) déclenchée par le président Nixon, puis généralisée par Reagan. En 1997, une nouvelle loi facilite plus encore, par son article 1033, ces transferts. Ceux-ci sont censés aussi permettre à la police de lutter contre le terrorisme… Ce qui est désormais connu sous le nom de « Programme 1033 » permet ainsi à des collectivités, sur l’ensemble du territoire américain, de se faire livrer gratuitement du matériel militaire.

Aux dires d’Alan Estevez, haut fonctionnaire du ministère de la défense en charge du Programme 1033, ce sont plus de 5 milliards de dollars de matériels militaires qui ont été offerts à la police depuis le début des années 1990. Voulant rassurer les membres de la commission du Sénat qui l’interrogent sur le sujet en septembre 2014, il précise qu’une règle interdit néanmoins le transfert de certains équipements, comme les chars d’assaut, les avions de combat, les armes de plus de 7,62 mm et les uniformes militaires. Mais il doit tout de même reconnaître que la police de Ferguson, une banlieue de Saint-Louis dans le Missouri, s’est vu offrir deux « Humvees », des véhicules de transport de troupes multifonctions.

Ce sont les événements de Ferguson qui ont révélé à l’Amérique à quel point sa police était militarisée. En août 2014, peu après la mort de Michael Brown, un adolescent noir non armé tué par Darren Wilson, un policier blanc, des manifestations de masse ont éclaté. De nombreux habitants, majoritairement afro-américains, non armés, sont descendus dans la rue pour exiger que justice soit rendue à Michael Brown. La réponse policière fut violente : arrivés dans des transports de troupes militaires, attifés comme des fantassins, des tireurs perchés sur les toits des camions, ces vrais petits soldats ont lancé moult gaz lacrymogènes et balles en caoutchouc sur des manifestants qui ne voulaient pas quitter les rues.

Un rapport du ministère de la Justice de 2015 a relevé que l’équipement des policiers leur donnait un style militaire et notait qu’en toute logique, lorsque les policiers « montrent qu’ils sont équipés pour une bataille et prêts à se battre, cela se termine en bataille ». Wiley Price, un photographe noir de Saint-Louis qui a couvert les manifestations, a expliqué au Sénat avoir vu à Ferguson « des armes de guerre, comme des véhicules blindés qu’on ne voit normalement qu’à la télévision, dans les zones de guerre du Moyen-Orient ». Et en effet, dans le cadre du Programme 1033, la police du comté de Saint-Louis, également à la manœuvre pour mater les manifestations de Ferguson, a reçu notamment douze fusils d’assaut et trois hélicoptères.

Mais la militarisation de la police américaine ne se limite pas aux armes employées, issues des surplus militaires. Elle se loge également dans les techniques policières. Le sergent de police Glenn French, formateur de son état, écrit ainsi qu’il « a passé la dernière décennie à essayer d’inculquer à ses étudiants l’idée que le policier américain agit sur un champ de bataille lorsqu’il patrouille dans son secteur ».

Les SWAT (Special weapons and tactics), ces fameuses « unités d’élites », se retrouvent désormais dans la presque totalité des polices du pays. Groupes paramilitaires de policiers armés comme des soldats, ils réalisent des opérations anti-criminalité qui ressemblent plutôt à des assauts contre des ennemis dans un pays en guerre. L’organisation de défense des droits civiques ACLU (American civil liberties union) a documenté avec force détails, dans un rapport au titre évocateur « War comes home » (« La guerre à la maison »), de juin 2014, les nombreuses bavures dont se sont rendues auteurs les SWAT. Utilisées souvent pour de banales opérations de police, comme aller cueillir chez lui un suspect, elles se sont vu dotées d’une puissance de feu qui aboutit régulièrement à des drames.

En mai 2014, la famille Phonesavanh en a été victime quand, à trois heures du matin, l’une de ces unités a forcé la porte de leur domicile, a pénétré, armée jusqu’aux dents, dans une chambre et a jeté une grenade explosive qui a atterri dans le berceau d’un enfant de 19 mois. Le bébé a survécu mais gardera à vie les séquelles de cet assaut qui était officiellement justifié par la volonté policière d’interpeller son grand cousin, suspecté d’avoir vendu pour… 50 dollars de drogue ! Le cousin ne vivait pas sur place. Le rapport de ACLU décrit nombre de ces raids, ayant abouti parfois au décès d’un habitant, souvent un enfant, qui sont expliqués par des motifs de lutte contre la criminalité, faisant apparaître comme totalement disproportionné le déploiement de force policière.

Barack Obama, après avoir accepté le Programme 1033 pendant toute la durée de son mandat, a récemment décidé de stopper le transfert de certains équipements militaires aux polices locales, en expliquant benoîtement qu’elles « peuvent donner l’impression aux populations qu’elles agissent comme une force d’occupation ». On ne saurait mieux dire. La militarisation de la police a en effet eu précisément cet effet : lui permettre d’agir comme si elle devait mater les habitants, qui sont perçus comme des ennemis. En militarisant la police, et en lui apprenant à se comporter en armée, elle se retrouve naturellement à se battre contre ceux qu’elle est censée protéger.

Sources :

– ACLU, « War comes home – The excessive militarization of American policing », juin 2014.

– US Department of Justice et Police Foundation, « An assessment of the St-Louis county police department », 2015.

– Sénat, Commission des affaires gouvernementales et intérieures, « Oversight of Federal Programs for Equipping State and Local Law Enforcement Agencies », 9 septembre 2014.

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