Vins libertaires et bières sociales

Et la vie devient buvable

Rencontre avec Pablo, vigneron trentenaire installé depuis quelques années dans le Vaucluse, face aux Dentelles de Montmirail, « où il n’y a pas de repli, seulement une patience millénaire sur laquelle nous sommes appuyés » (René Char).

CQFD : Comment devient-on vigneron quand on n’est pas soi-même fils de vigneron ?

Pablo Höcht : Il faut avant tout être passionné et considérer cela comme une idée de vie parce que le métier prend énormément de temps et d’énergie. Mais ce qui est super quand on part de zéro, c’est qu’on n’a pas de pression familiale, on peut faire comme on l’imagine, essayer des trucs. C’est une grande liberté ! Il faut bien sûr déjà avoir traîné dans des caves et avoir cultivé la vigne et s’être fait une petite idée du métier. J’ai pu énormément apprendre de l’expérience des autres, comme celle de Jean David qui travaille en bio depuis un moment à Séguret. J’ai eu la chance de démarrer mon activité en même temps qu’un compère, ami d’enfance, Frédo Meffre1, qui est fils et petit-fils de vigneron, et avec qui on s’entraide beaucoup. J’ai commencé en 2010 sur deux hectares et depuis 2011 sur cinq hectares. Évidemment, si on ne possède ni patrimoine ni vigne à la base, il faut bosser parallèlement, donc je suis salarié dans une cave à Gigondas.

Photo : P.H.

Avant de t’installer, tu as pas mal voyagé en Amérique latine, où la culture du vin est relativement récente. Qu’est-ce qui t’a intéressé là-bas ?

La culture populaire du vin y est relativement récente, bien qu’on y connaisse la vigne et le vin depuis l’invasion espagnole. J’y ai visité de grandes caves, énormes même, avec une production quasi industrielle, en Argentine et au Chili. On y travaille avec des cépages internationaux (cabernet, syrah, pinot…), ils utilisent des « recettes » pour les fermentations, etc. Au final, on se soucie plus des « profils de vin » que des terroirs. Il y a une course effrénée visant à s’inspirer de la success-story du bordeaux, cela se ressent dans la surenchère architecturale à faire des caves modernes, clinquantes et prétentieuses. Malheureusement, le vin passe au second plan. J’ai travaillé dans une grande cave en Uruguay, au salaire local… à peu près deux euros de l’heure, à l’époque. Il y a peu de caves de petite taille. D’un point de vue œnologique, il n’y a pas grand-chose à apprendre. Finalement, le plus intéressant, ç’aura été de vivre là-bas, avec les gens du coin, avec les cavistes et les travailleurs des vignes et se rendre compte de leurs conditions de vie et de l’exploitation féroce qui y règne.

Comment as-tu choisi de travailler tes vignes ?

Je travaille mes vignes en agriculture biologique et biodynamique. La vigne étant une monoculture, il faut donc essayer d’amener un peu de diversité dans les champs. Cela passe par une attention particulière portée au sol et à sa vie. L’agriculture biologique en est le point de départ, mais ensuite, il faut aller beaucoup plus loin et être le plus attentif possible à ses plantes et à son sol. Pour rappel, l’agriculture biologique implique de ne pas utiliser de pesticides, d’herbicides et d’insecticides chimiques pour lutter contre les maladies de la vigne, donc on utilise du cuivre et du soufre ; et cela passe aussi par une gestion de l’herbe avec des moyens mécaniques et non chimique. La biodynamie permet, elle, de favoriser la vie des sols, l’équilibre des plantes. Elle permet une compréhension plus globale, par l’utilisation des énergies pour amener de l’équilibre et de l’harmonie dans les vignes et dans les vins.

Tu participes à une fête de village qui met en valeur le travail ancestral des chevaux dans le labour des vignes. Quelles autres pratiques traditionnelles ou écologiques utilises-tu ?

On n’utilise plus vraiment de traction animale en vigne – ou alors juste pour la photo. La taille des exploitations a changé, le matériel s’est adapté. Revenir au cheval, c’est un rêve, mais il faut pour cela une sacrée organisation et de sacrés moyens. Un jour peut-être, ce serait génial ! Je pense qu’on retrouve plutôt les pratiques traditionnelles en cave, avec des façons de faire séculaires. Le travail au chai est finalement assez simple, mais il est important de faire les bonnes choses au bon moment. Il y a des pratiques ancestrales qui sont efficaces et indispensables. À l’époque, on devait faire cela empiriquement, alors que de nos jours on prétend expliquer tout scientifiquement : le soutirage, le méchage de barrique, etc.

Et pour la vinification, quelle est la part de chimie que tu utilises ?

Le moins possible ! Seulement du SO2 ou dioxyde de soufre. La destinée finale du jus de raisin étant le vinaigre, il faut pouvoir le stabiliser, ce que permet l’usage maîtrisé du soufre. Je ne suis pas adepte des vins sans soufre, qui sont trop souvent déviés et ne présentent que peu d’intérêt. On en trouve certes d’excellents, mais c’est assez rare. L’absence de soufre est probablement possible certaines années, mais je n’inscrirais pas cela comme une règle.

Pour en venir à l’aspect économique de ton activité, comment expliques-tu qu’en dehors des circuits industriels de distribution, le vin soit devenu un produit relativement cher – autour de 10 euros la bouteille dans ton cas ?

Comment l’expliquer ? Ce n’est pas simple. Il y a un coût de production assez élevé, des rendements assez faibles, et une grosse hétérogénéité de production selon les années, en raison de l’effet millésime. Dans le même temps, les matières sèches et autres charges ne diminuent pas, bien au contraire. Plus on est petit producteur, plus on paye cher les fournisseurs (les bouteilles notamment). Ensuite se pose le problème des intermédiaires de vente : chacun prend sa part et cela se ressent sur le prix à débourser par le consommateur. Par exemple les restaurants peuvent multiplier par trois le prix de la bouteille pour faire leur marge… Comment faire pour que notre vin soit accessible à tous ? Par le prix de vente, le producteur choisit qui boira son vin, ce qui le réserve parfois de fait aux seuls amateurs friqués, hélas. Il y a là quelque chose de politique. Faire tel ou tel type de vin, c’est aussi défendre une certaine idée de la culture du vin.

Contact :

Pablo Höcht – Domaine de Crève-Coeur – « Derrière le Château » – 84110 Séguret.

pablo.hocht@gmail.com.

La suite du dossier

Repères de Bacchus

« Le vin nature est une goutte de vin dans un océan de produits œnotechniques »

En vin et contre tout

Passeur de vins

Brèves de vins

Bière de la Plaine

Microbrasserie Punk

Bières de luttes


1 Domaine Fontaine des fées, Quartier Chante-Grenouille, 84110 Séguret, 06 75 01 08 49.

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1 commentaire
  • 15 juillet 2014, 11:28, par Alain

    Joli portrait de quelqu’un de remarquable. Petite remarque désagréable cependant.

    Contrairement à beaucoup de connaissances, moi je suis pas certain que le survivalisme potager (ce survivalisme de gauche qui n’est pas un projet politique, mais un projet existentiel pour ceux qui l’adoptent) nous sauvera de Monsanto.

    Je ne sais pas si c’est pour être, moi, petit-fils de ruraux pauvres, mais paysan c’est un métier et pas un passe-temps de néo-hippie tout fier de leur tomate au balcon pendant que des cultivateurs indiens se pendent fautent de pouvoir racheter leur semence.

    S’il fallait dire aux habitants de Rio, Honk Kong ou San Jose, « OUAIS TOUS A LA CAMPAGNE POUR PLANTER NOS SALADES », matte la gueule de la campagne au bout de six mois. Faire une culture auto-suffisante c’est possible mais tout le monde ne peut pas manier la bêche.

    Pareil pour la sociabilité. Marx et Engels détestait au fond la société rurale, par ce que c’est sur elle que s’est appuyé l’ancien régime pendant des siècles. Ce qui a engendré les premiers troubles révolutionnaires, c’est l’anonymat de la ville.

    Alors oui, la vie rurale n’est plus du tout la même aujourd’hui grâce aux transports. Mais l’idée de me retrouver à l’année qu’entre gens qui écoutent les Têtes Raides, lisent du réalisme magique de bourgeois expropriateurs culturels type Castalneda ou Jodorsvki, tous convaincu qu’on peut soigner le diabète avec du jus de fenouille - ça tient du cauchemar pour moi, je préfère encore végéter dans un bullding de Singapour.

    Je veux bien faire une coopérative d’habitant avec les gens de mon immeuble, mais j’ai aucune obligation d’être ami avec eux, je ne veux pas faire une AG chaque fois que je veux changer la couleur du PQ ni d’avoir de gens intéressés sur mes horaires de sortie, avec qui je baise ni ce que j’écoute comme musique.

    C’est quelque chose qui m’a toujours profondément rebuté dans les avatars du communalisme d’après-guerre, cette familiarité villageoise obligatoire et cette assignation permanente qui vous empêche de devenir ou d’être autre chose que ce que vous êtes. Ça me semble être en réalité une réaction (bien compréhensible) à l’indifférenciation marchande et salariale.

    La même chose s’observe en médecine : le pouvoir médicale et pharmacologique est tel que face à sa domination sur le vivant, beaucoup vont se réfugier dans la pensée magique et l’irrationnel. C’est là qu’arrive les charlatants et les gourous : tu vomis Novartis mais t’engraisses les labos Boiron qui te vendent de l’eau sucrée en gellule ? Moi je ne veux pas avoir à choisir entre Josef Megele et Rika Zaraï puisqu’entre les deux, il y a Louis Pasteur.

    • 15 juillet 2014, 13:51, par Mathieu Léonard

      Bonjour,

      Votre commentaire se défend tout à fait, mais je ne le prends pas comme une remarque, même « désagréable » en regard de l’article.

      Rien ne dit que Pablo est un « néo-rural » tel que vous le décrivez. S’il n’est pas lui-même issu d’une famille d’agriculteur, il a grandi dans un village où la vigne est l’activité principale, et où il est investit dans la vie sociale. C’est assez clair que pour lui, ce n’est pas un passe-temps de néo-hippie, ni une posture de retour à la terre pour urbain blasé, mais une vocation à plein temps qu’il a choisi en fonction de son environnement. Il ne s’agissait pas de proposer une « alternative » au système mais plutôt de présenter un métier qui est aussi une passion.

      Voilà juste pour que les choses soient claires et évitez les clichés un peu faciles.

    • 16 juillet 2014, 09:27, par Mathieu Léonard

      En fait, c’est peut-être la chapô qui est trompeur. Il marqué qu’il est « installé dans le Vaucluse depuis quelques années », c’est-à-dire « installé » dans le métier de vigneron. Sinon c’est un local…

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