École des Accoules

Enfants à la rue, profs sur le pont

Ce mercredi 10 mai 2017, rendez-vous est donné à l’école primaire des Accoules, située dans le quartier du Panier, à Marseille. Laurent fait le portier. C’est l’un des huit instits de l’établissement. On entre dans le bâtiment classé monument historique. Escalier en large colimaçon, hauteur incroyable et odeur de grillades. On arrive sous le préau. Au service ce midi, instits et parents d’élèves : saucisses, quiches familiales et sodas. Les enfants en furie piaillent de partout. Ambiance champêtre de fin d’année scolaire. Une conférence de presse est annoncée, les médias locaux sont là.

Il y a deux semaines, trois enfants roms scolarisés ici, membres d’une même famille, étaient expulsés de leur squat rue Flégier. En l’apprenant, la directrice de l’école, Corine Lefort, décidait de pousser une gueulante et de médiatiser l’histoire. Et d’annoncer gaillardement qu’en l’absence de décision préfectorale pour reloger la famille, elle ouvrirait une salle de classe pour lui offrir un toit. « On a vu les enfants arriver à l’école, le visage très fatigué ; c’est comme ça qu’on a appris qu’ils avaient été expulsés. » C’était juste après le 31 mars et la fin de la trêve hivernale. Ça ne loupe jamais : chaque année, la période voit les expulsions s’enchaîner. Vider les squats sans offrir d’autre perspective que la rue.

Aux Accoules, enseignants, parents, anciens parents d’élèves et commerçants se sont organisés – caisse de solidarité, repas et concert de soutien. Leur urgence : que la famille soit logée ! L’argent récolté a permis de payer quelques nuits d’hôtel, avant que les soutiens ne dégottent un petit appartement. Deuxième urgence : en appeler aux différents services institutionnels (Ville, préfecture et inspection académique). En vain. Seule réponse, celle du Samu social, qui a proposé un quota de dix jours d’hébergement – rien de plus. En contactant à répétition le 115, le collectif a appris que la famille avait épuisé « ses droits » au logement. « Et puis, à Marseille, il n’y a pas de centre d’hébergement pour familles. »

Ce midi, des instits des écoles primaires avoisinantes sont présentes. Régulièrement confrontées au même problème, elles échangent entre elles au quotidien. « Quand on scolarise les enfants d’une même famille, on se tient au courant. » Parmi elles, Marie, directrice à mi-temps de l’école Parmentier de Belsunce – 30 ans qu’elle y enseigne. Elle fait partie du Réseau éducation sans frontières depuis sa création en 2004. Pour Marie, impossible de rester insensible quand disparaissent des élèves qu’elle accompagne depuis des mois. « C’est toujours angoissant quand on voit qu’un enfant ne vient plus. Parfois, il disparaît totalement ; parfois aussi, il finit par revenir, les traits tirés, et on apprend qu’il dort dans une voiture… On ne peut pas laisser faire ça. »

Dans ces écoles, il y a un mouvement permanent. « Cette année, 40 enfants sont partis, tandis que trente autres ont été inscrits en cours d’année. » C’est qu’au fil du temps, certaines familles quittent le centre-ville pour habiter ailleurs – soit parce qu’elles le peuvent, soit par obligation. Quant à la plupart des réinscriptions, elles sont fragiles et concernent des demandeurs d’asile. Les instits font tout pour nouer un lien précieux avec ces familles, afin de réagir vite en cas de réponse négative.

Ces dernières années, la situation a empiré : les demandeurs d’asile sont de plus en plus nombreux. Avant, quand les familles recevaient une Obligation de quitter le territoire français, les écoles parvenaient à se mobiliser pour contraindre la préfecture à réviser les dossiers. Aujourd’hui, c’est devenu presque impossible – le temps du soutien est consacré aux nécessités vitales : se loger et manger.

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