En grève jusqu’à la retraite

ÉVIDEMMENT, l’actualité est telle que je ne vous écris pas de l’intérieur de l’usine. Avec les collègues, on a participé à toutes les journées d’actions contre la réforme des retraites, même s’il n’a jamais été question de grève reconductible comme l’ont fait les copains de Total. Reste qu’on était une bonne quinzaine à participer quasi quotidiennement aux blocages des ponts, des entrées de la ville, des transports urbains et surtout du dépôt de carburant, situé à côté de la boîte.

Le 27 octobre, il a fallu se lever très tôt car l’assemblée générale intersyndicale des grévistes et autres de l’agglomération rouennaise avait décidé la veille d’une action forte. Peut-être un baroud d’honneur. On s’est rencardés par texto et Internet, et l’on s’est retrouvés trois cents à 4 h 45 devant les portes de la raffinerie Pétroplus de Grand-Couronne, près de Rouen. Comme à chaque fois, on s’est réunis autour de palettes en flammes à échanger des sourires, des signes amicaux et quelques mots. La lutte, ça sert aussi à créer des liens. Les raffineurs en sont à leur quinzième jour de grève et ont besoin de soutien. On sait pourtant que ça risque de s’arrêter, d’autant que la CGT, pourtant vindicative ici, a organisé un référendum dont l’objectif à peine dissimulé est de faire cesser le mouvement. Au cours de ce rassemblement, les salariés de Pétroplus de quart du matin votent massivement en faveur de la poursuite de la grève sous les applaudissements (mais pouvaient-ils faire autrement en notre présence ?). Quelques-uns, requis pour la sécurité, doivent quand même rentrer dans l’usine.

Ensuite, les manifestants quittent les lieux en cortège de voitures et, à la vitesse de l’escargot, rejoignent les quais de la Seine. Arrivés là, on part en manif en direction du dépôt de carburant « Rubis ». C’est un peu le symbole de la lutte sur Rouen : on l’a occupé pendant près d’une semaine, en jouant au chat et à la souris avec les flics.

par Efix

Dégagés quotidiennement, les lieux étaient réoccupés dès leur départ. Sauf qu’au bout de cinq jours, ils ont compris la manœuvre et posté en permanence huit camions remplis de robocops. Il est prévu qu’on « aille au contact » face à un mur d’une centaine de CRS. Un type du NPA, se prenant sans doute pour un caporal de l’Armée rouge, n’arrête pas de nous donner des ordres. Il aboie sans cesse : « Je veux voir des rangs serrés et des manifestants en chaîne. » On l’écoute à peine. Selon une méthode éprouvée, on force le barrage en masse. Échanges de quelques coups mais les lacrymos, balancés en rafales, ont vite fait de nous repousser vers le carrefour tout proche. On stationne là, à bloquer la circulation. De toute façon, on n’a rien prévu de véritablement offensif pour répliquer. Même les étudiants les plus agités n’ont que des œufs remplis de peinture et des feux d’artifice. Autour d’un nouveau feu de palettes, les plus jeunes questionnent pour savoir comment c’était quand les ouvriers se battaient vraiment contre la flicaille. Et nous de répondre que les derniers vrais affrontements remontent à 1978, lors de la fermeture des chantiers navals et d’une usine métallurgique. Une jeune fille dit qu’aujourd’hui, c’était un premier essai et que de voir les étudiants aux côtés des salariés, c’était déjà pas mal. Au bout d’une heure, alors que les condés s’approchent pour nous encercler, nous quittons les lieux pour bloquer quelques heures l’entrée du boulevard industriel, ou pour distribuer des tracts dans différents secteurs de l’agglo. L’après-midi, les salariés de Pétroplus reprennent le travail mais, faute de brut, la raffinerie ne peut pas démarrer.

Le lendemain, pour la septième journée nationale d’action, les rues de Rouen sont encore occupées par 40 000 manifestants. Même si ça s’émousse, on est encore nombreux et énervés. En fin de manif, environ 500 personnes tentent d’atteindre le local du Medef. Ils sont vite chassés par les charges policières. Six personnes sont arrêtées, trois d’entre elles passeront en procès le 10 janvier, a priori pour avoir été en possession d’œufs (sic).

À l’heure où je dois terminer l’article, le premier round s’achève sans que la contestation soit éteinte (le local du Medef du Havre vient d’être muré par des manifestants). Quoi qu’il en soit, ce mouvement laissera des traces. Nous n’avons pas pu aller vers la grève générale, sans doute parce que l’atomisation du travail rend les choses compliquées, mais nous avons osé des formes de lutte qui laissent présager qu’on ne va pas s’arrêter là. Le blocage de la circulation, des dépôts (même s’il ne durait que quelques heures) est une avancée politique vers un blocage total de l’économie. On a assisté à une radicalisation de la part de salariés qui n’ont pas eu peur d’en découdre avec les flics. Côté syndical, les bases, au niveau local, ont participé aux actions sans tenir compte des secrétaires et dirigeants confédéraux et nationaux. Il s’est tenu des AG quotidiennes dans les locaux de la CGT (une première), etc. Il y a aussi eu des choses ratées, comme ces militants NPA qui, prenant des postes syndicaux à la place d’anciens du PC, reproduisent les mêmes travers staliniens, mais ce sera sans doute l’objet d’une autre chronique.

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Cet article a été publié dans

CQFD n° 83 (novembre 2010)

Tous les articles sont mis en ligne à la parution du n°84.

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