Été brûlant en Angleterre

Émeutes-shopping

La flambée de violence de cet été en Grande-Bretagne a pour origine une politique de casse sociale plus que trentenaire. Et les grands discours moralisants qui stigmatisent le comportement de la jeunesse ne servent qu’à dissimuler cette dure réalité.
par Rémi

« Are you taking orders or are you taking over ? » [Allez-vous exécuter les ordres ou vous relever ?] En 1977, dans une chanson des Clash, le regretté Joe Strummer interroge le privilège de race d’une jeunesse ouvrière blanche qui, à la solidarité de classe, préfère le confort d’être moins maltraitée que les Noirs. L’apostrophe des Clash est lancée juste à la suite des émeutes de Notting Hill. Avant de devenir en partie le havre des bourgeois bohèmes adeptes du chinage, le quartier de Notting Hill a été par deux fois le terrain de violences policières contre la communauté issue des Caraïbes – en 1958 et 1976. La sirène qui résonne dans la dernière version du morceau des Clash annonce des lendemains qui déchantent pour l’ensemble des franges les plus défavorisées de la société britannique déjà lessivées et criminalisées par les débuts du thatchérisme. Aujourd’hui, d’autres émeutes éclatent. Elles se sont déplacées géographiquement, dans le Nord de la ville à Tottenham, Enfield, Islington et Hackney notamment ; dans le Sud : Brixton, Peckham, Croydon, ainsi que dans d’autres villes : Liverpool, Birmingham, Manchester et Bristol. Qualifiées d’émeutes-shopping par des journalistes discount, celles-ci ont fait l’objet en Angleterre comme en France d’une amplification médiatique spectaculaire des dégâts matériels au détriment de recherches sur les racines sociales et politiques du problème : les enquêtes sur la pauvreté, par exemple, dont le London Evening Standard avait déjà, en mars 2010, fait état dans un vaste dossier intitulé « The Dispossessed ». Ce dernier compilait une série de reportages sur l’envers d’une capitale britannique réputée pour son dynamisme économique. À la suite de quoi, le journal a créé un fonds spécial pour aider les pauvres. Gordon Brown, alors Premier ministre, appuie avec enthousiasme le projet qui consiste à s’en remettre à la générosité des plus riches : un moyen pratique pour réduire les signes visibles de la pauvreté sans toutefois la faire entièrement disparaître – le vendeur de béquilles a toujours besoin d’éclopés.

Dans le même temps, la casse de la National health service (NHS) se poursuit et la crise des subprimes frappe de plein fouet les Britanniques : une dépêche de Reuters datée du 27 juin annonçait que la Grande-Bretagne allait faire face à une vague de saisies immobilières sans précédent. En matière de finance, les orientations travaillistes ne diffèrent pas de leurs pseudo-adversaires conservateurs. Aussi, l’usage de l’expression «  broken society » par David Cameron permet-il d’éviter toute évaluation des causes matérielles en demeurant sur le terrain strictement moralisant de la charité. Car personne au sein du gouvernement de Monsieur Cameron ne se demande quelles politiques ont « cassé » la société ni comment la refonder autrement qu’en comptant le nombre de téléviseurs volés.

En outre, la jeunesse très défavorisée est systématiquement stigmatisée dans les médias britanniques, au moyen notamment des termes « Asbos » (dérivé du nom d’un plan institué par Tony Blair servant à criminaliser des comportements pas toujours justiciables mais jugés nuisibles ou gênants par les classes moyennes et supérieures) et « chavs », qui désigne de jeunes pauvres dont la classe moyenne se gausse : goût pour les contrefaçons de la marque Burberry, queue de cheval haute pour les filles – qualifiée de « lifting Croydon » – tics d’élocution, tournés en dérision par la série Little Britain (BBC) à travers le personnage de Vicky Pollard. Les privilégiés se disent que les pauvres ont décidément très mauvais goût – alors que ces goûts ne diffèrent nullement des leurs. Seuls l’expression et les moyens matériels de les satisfaire changent.

Dès lors, si seuls les plus pauvres paient les pots cassés d’une société néo-libérale qui pardonne, quand elle n’exalte pas, les erreurs de ses banquiers et criminalise celles de sa jeunesse économiquement fragilisée, faut-il s’étonner que cette même jeunesse brise les vitrines du consumérisme hideux aujourd’hui érigé en mode de vie ? Les émeutiers s’approprient en définitive des objets, superflus pour ceux qui peuvent se les payer, mais que tout concourt à leur faire convoiter.

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Paru dans CQFD n°92 (septembre 2011)
Par Najate Zouggari
Illustré par Rémi

Mis en ligne le 24.10.2011