Dessine-moi une chatte

Le sexe masculin, c’est très simple, on voit précisément à quoi ça ressemble : un pénis, deux testicules, des poils. C’est facile à dessiner, facile à se représenter, et il y en a partout – sur les murs, dans le fromage blanc des sketches des Nuls, sur les publicités du métro, dans les marges des cahiers d’écoliers, ou encore sous la forme de l’Empire State Building, de la tour Eiffel et du siège pékinois du Quotidien du peuple. Le phallus c’est puissant, c’est omniprésent, c’est évident.

Par Caroline Sury.

Le sexe féminin en revanche, c’est plus compliqué. D’abord, ça ne pend pas : tout est à l’intérieur. C’est insondable, étrange, secret, caché. Les seules représentations qu’on en voit habituellement consistent en des schémas médicaux en coupe, qui regorgent de concepts aussi complexes que vulgaires (qui n’a jamais traité personne de grosse Fallope ?). On raconte aux petites filles que leur sexe est un trésor ; aux adolescentes, qu’elles ne pourront pas coucher sans aimer puisqu’on n’accueille pas impunément un corps étranger dans une cavité mystérieuse ; aux femmes, que c’est la raison pour laquelle elles se masturbent plus rarement que les hommes et ressentent moins de désir qu’eux. À vrai dire, le sexe féminin est rendu si énigmatique qu’on en viendrait presque à se demander s’il existe réellement.

C’est pourtant une évidence : nous serions tous considérablement plus heureux si nous savions à quoi ressemble une vulve. Plutôt que d’avoir entre les jambes un trou inconnu et sale, les femmes auraient un vagin dont elles seraient aussi fières que les hommes de leur pénis. On se connaîtrait mieux, on serait plus à l’aise, on saurait mieux se masturber (soi-même et les autres), on jouirait plus, et l’architecture mondiale connaîtrait une diversification sans précédent – adieu phalliques tours et buildings, bonjour constructions à l’effigie d’un mont de Vénus ou d’un capuchon clitoridien.

Sans plus tarder, abattons donc quelques idées reçues. D’abord, une vulve n’a rien d’invisible : sous le pubis, outre deux paires de lèvres, un méat urinaire et l’entrée du vagin, on trouve le désormais célèbre clitoris. Certes, son gland, composé comme le pénis de corps creux érectiles, n’est que la partie émergée d’un iceberg d’une dizaine de centimètres – taille de la tige interne – mais quelle partie ! Le sexe féminin n’a rien non plus d’une béance : au repos, les parois du vagin, un tube souple et très extensible d’environ huit centimètres, sont parfaitement accolées et fermées. Enfin, il n’a rien de compliqué : des lèvres, une ouverture et un petit tunnel qui mène à l’utérus, une poche de la taille d’un poing dont le col descend dans le vagin – détail injustement méconnu : ce canal se déplace au cours du cycle menstruel et constitue une source de plaisir inexplicablement ignorée par Freud, surtout quand on le titille en levrette.

C’est toujours un peu flou ? Faites confiance aux féministes des années 1970 et à leur sens aigu de la comparaison ! Les auteures du merveilleux Notre corps, nous-mêmes1, conseillent ainsi d’imaginer le vagin comme un rouleau de PQ, l’utérus comme une poire, les trompes de Fallope comme de petits fils téléphoniques et les ovaires comme des amandes non décortiquées. Ce qui se conçoit bien se dessine clairement… et le mot « chatte » vient aisément.

Illustrée par Caroline Sury.


1 Conçu et rédigé par le Collectif de Boston pour la santé des femmes, adapté en français par un autre collectif de femmes, et paru chez Albin Michel en 1977.

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1 commentaire
  • 28 février 2014, 12:09, par Gol

    Gerard Zwang avait en son temps écrit des bouquins très complets (morphologie, physiologie, mythes et littérature) sur la question. Comme vous, il y déplorait l’absence de représentation du sexe féminin, particulièrement dans l’art, et souhaitait une meilleure diffusion de nos connaissances sur le sujet, en premier lieu afin d’améliorer la condition de la femme et son regard sur elle-même, à dix mille lieux de la haine du corps féminin vécue et racontée par Beauvoir. Quelques blasons chez les poètes, rien chez les plasticiens (sauf Courbet) dans l’histoire de l’art de par chez nous. Alors que les bittes sont légion, même dans la statuaire, dès la Renaissance. Émouvantes lèvres, oubliées. La pornographie rattrape le temps perdu, mais en fracassant toute pudeur et donc toute esthétique du corps. Et phallus et vulve sont récupérés comme arguments du stakhanovisme consumériste déguisé en libération des moeurs. N’est-il pas temps, pour contrer les mercantis, de revenir à la feuille de vigne ? Des feuilles bien larges, derrière lesquelles faire passer pudiquement connaissances, stratégies, armes.

    • 14 juin 2015, 10:50, par PdV

      Et Gérard Zwang avait raison. Mais lui et toi, Gol, vous êtes quand même un peu faux-culs de « déplorer » la phallocratie seulement dans le domaine artistique, comme si les représentations n’étaient pas un effet de la domination masculine sur l’ensemble des champs symboliques importants.

      Pas de chatte dans la statuaire ou la peinture occidentales ? Ben non : mais il suffit d’ouvrir un magazine « masculin » pour comprendre pourquoi ! Les postures invraisemblables de ces filles ! Ça me fait doucement rigoler quand j’entends certains mecs parler avec des trémolos dans la voix de « la beauté des femmes ». La vue d’une vulve les met dans tous leurs états, et leur donne envie de se tirer sur le haricot...De là à parler de beauté, il s’en faut quand même de beaucoup quand on a un grain de bon sens !

      Pas la peine de « déplorer », tu l’as ta réponse : beaucoup d’hommes ne peuvent pas regarder dans l’œil une chatte sans devenir dingos. Et donc ils la réprouvent sur de grands airs moraux. Du coup, quand on sculpte une chatte, c’est à l’époque préhistorique, et ça devient une déesse : la déesse-mère. Alors, c’est pas étonnant que les hommes aient un peu peur...

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