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Désobéir pour survivre

« – Tu connais le syndrome “France Télécom” ? – Hélas. – Ouais, ben on a le même, et ce n’est pas glorieux… Les gars obéissent jusqu’à ne plus pouvoir et bam ! Tout ça pour un putain de job à la con ?! “Désobéir” p’t’êt’ que ça sonne à tes oreilles comme un acte héroïque ou comme un entêtement. Mais pour moi, c’est juste un geste de survie. »

Éric Ménard raconte. Fabien Grolleau dessine. Éric était postier, d’abord à la campagne, puis à la ville, où il a enchaîné CDD sur CDD. Enfin titularisé, il se retrouve « rouleur », facteur remplaçant, « pas évident, du jour au lendemain, on te greffe sur une tournée que tu ne connais pas, pour remplacer le gars absent, ou malade. » En 2010, il se dégote sa propre tournée, s’approprie son quartier, quelques rues dont il connaît rapidement les habitants. C’est qu’Éric aime causer. Un vrai animal politique, Aristote aurait dit. Mais on n’est pas à l’époque d’Aristote, plutôt à celle de la réforme. À la Poste, elle a pris pour sobriquet « Facteur d’avenir ». Pour Éric, c’est la cata : au nom de la productivité, on rajoute un bout de rue à sa tournée. Éric se cabre, refuse de distribuer ce rab de courrier qui l’empêche de travailler correctement, de maintenir ce petit lien social avec les gens. Pressions de la direction. Pressions de son chef de service. Un conseil de discipline qui débouche sur deux mois de mise à pied. Et puis la démission, parce que « ça n’était plus tenable ».

Huit dessinateurs pour huit portraits d’agents du service public ayant en commun de s’être opposés aux injonctions managériales importées du privé, tel est le pari de la bédé Les Désobéisseurs1. Pôle emploi, Office national des forêts, EDF, Éducation nationale… Au fil des pages, on se rend compte qu’aucun secteur public n’a été épargné par la mise au pas néolibérale. Entre ceux qui acceptent de courber l’échine et ceux qui viennent gonfler la courbe macabre des suicidés au travail, il y a cette poignée d’agents qui décident de montrer les crocs. Résistance individuelle ou collective, frontale ou biaisée, Les Désobéisseurs nous offrent tout un panel de stratégies, de bricolages élaborés par des salariés dont la seule ambition séditieuse est de vouloir continuer à bien faire leur boulot. Christian Sabas est infirmier psychiatrique à l’hôpital de la Maison-Blanche. L’encre de Damien Roudeau esquisse des visages, des bruits, des débordements. « Je n’ai jamais compris cette relation du soignant au patient. Ce rapport de pouvoir, cette mise à distance, cette infantilisation de personnes qu’on a déjà dépouillées de tout », explique Christian, qui refuse le rôle de maton chargé de maintenir les patients sous camisole chimique.

Excédée, la direction lui cède le pavillon 53 dans lequel il va créer « l’atelier du non-faire » : « 1 000 m2 de gris et de couleurs. Juste un espace pour faire les choses autrement. » Peinture, musique, le lieu agit comme un défouloir créatif pour les malades. Un sanctuaire au sein même de l’asile, parce que « tu peux pas foutre des piqûres et dire ensuite au gars que tu l’aimes ».


1  Les Désobéisseurs, éditions Vide Cocagne, 2013

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