Dossier « T’ar ta gueule à la récré »

Des précaires contre le virus Blanquer

Illustration d’Étienne Savoye

«  N’allons pas chercher de nouvelles polémiques. » Avant même l’Ibizagate de janvier, cette déclaration de Jean-Michel Blanquer, au micro de RTL le 27 août dernier, avait de quoi faire sourire (jaune, très jaune). Car s’il en est un qui cherche des noises depuis bientôt cinq ans, c’est bien le ministre de l’Éducation nationale.

À l’époque de cette sortie, Blanquer s’efforce de défendre une campagne de com’ de son ministère, dont une affiche montre deux gamins, le premier blanc, la seconde noire, en train de patauger dans une piscine. Le slogan : « Permettre à Sacha et Neissa d’être dans le même bain. C’est ça la laïcité. » Les réactions avaient crépité contre cette conception « mal digérée1 » du concept. Et le syndicat Sud éducation de tacler sur Twitter : « En mélangeant religion, couleur de peau, origine géographique supposées […], la campagne d’affichage est sur une pente dangereuse, celle d’un dévoiement raciste et xénophobe de la laïcité, appuyé sur un imaginaire colonial2. » Business as usual pour Blanquer qui, en 2018 déjà, regrettait que le syndicat étudiant Unef nomme une femme qui portait le voile responsable d’une de ses antennes. Pendant ce temps, le ministre échafaudait sa « loi pour une école de la confiance » qui, en juillet 2019, allait offrir un joli cadeau aux écoles maternelles privées sous contrat avec l’État – pour la plupart catholiques – en rendant obligatoire l’instruction à partir de 3 ans, contraignant de facto les municipalités à participer aux frais de fonctionnement de ces établissements.

Si le torpillage des principes de la laïcité est une des marottes favorites du ministre de l’Éducation nationale, il a d’autres obsessions en stock. En particulier, la lutte contre l’intersectionnalité. C’est-à-dire contre le fait d’ » analyser la réalité sociale en observant que les identités sociales se chevauchent et que les logiques de domination sont plurielles3 » – manière de rappeler qu’une PDG blanche et sa femme de ménage d’origine africaine ne subissent pas tout à fait les mêmes formes de domination.

Si le torpillage des principes de la laïcité est une des marottes favorites du ministre de l’Éducation nationale, il a d’autres obsessions en stock...

Sur le terrain, ça donne un ministre de l’Éducation nationale qui tape comme il peut sur l’Unef (again) et ses réunions en non-mixité raciale : pour Blanquer, que des personnes victimes de racisme veuillent échanger entre elles à ce sujet est au mieux « une chose folle », au pire le terreau de « projets politiques gravissimes » (BFM, 19/03/21).

Après la race, le genre : le 5 mai dernier, le ministre proscrivait l’usage à l’école de l’écriture inclusive basée sur le point médian. En introduction de sa circulaire, il avait cru bon de placer une citation d’Hélène Carrère d’Encausse et Marc Lambron (deux pontes de l’Académie française) affirmant que cette graphie serait « contre-productive » pour « la lutte contre les discriminations sexistes ». Ben voyons !

Cohérent, Blanquer inaugure finalement début janvier un colloque à la Sorbonne intitulé « Après la déconstruction : reconstruire les sciences et la culture », bâchant entre autres le « néoféminisme » et « la ’’pensée’’ décoloniale ». Une bamboche pseudo-universitaire financée par le ministère sur un fonds réservé4.

Lâcher des ronds quand ça sert ses croisades ? Décidément, le ministre sait faire. Notamment en filant du blé à un syndicat lycéen chargé de promouvoir ses réformes iniques. On rembobine. En novembre 2020, une enquête de Mediapart5 révèle que l’Éducation nationale a rincé à hauteur de 65 000 € le syndicat Avenir lycéen, qui en claquera une proportion significative en restos et hôtels de luxe. Libération découvre dans la foulée que l’idée de la création du syndicat a en réalité « germé [en 2018] rue de Grenelle6 » pour « servir la communication » de Blanquer, alors que dans la rue, les lycéens qui manifestaient contre la réforme du bac et la création de Parcoursup se faisaient dégommer à coups de flash-ball.

Mise en place en 2019, la réforme du lycée a aujourd’hui fait ses preuves : depuis son instauration, la part des filles faisant des maths en terminale a dégringolé de près de dix points, passant de 48,4 % à 38,6 %7. Quant à Parcoursup, le nouveau dispositif d’orientation, il est jugé opaque et discriminant – à la bonne fortune d’algorithmes flous. Perspicace, l’historienne Laurence De Cock avait après sa mise en place dénoncé « une dynamique de différenciation scolaire sur fond de tri social8 ».

Et question tri social, Jean-Michel Blanquer s’y connaît. Pour illustrer son expertise en la matière, il s’est notamment attelé à réduire drastiquement le budget des fonds sociaux destinés aux élèves dont les familles se trouvent en grande précarité : de 59 millions d’euros en 2019, il est passé à 30 millions en 2020 9. Soi-disant qu’ils n’étaient pas assez utilisés. À moins que les miséreux ne sachent pas gérer leurs sous ? Le sinistre a son idée sur la question, lui qui déclarait en septembre dernier au sujet de l’allocation de rentrée scolaire : « On sait bien, si on regarde les choses en face, qu’il y a des achats d’écrans plats plus importants au mois de septembre qu’à d’autres moments.10 » Mépris de classe, quand tu nous tiens.

Face à ce tableau plus noir que noir, on se dit qu’annoncer début janvier from Ibiza la mise en place d’un protocole sanitaire déconnecté des réalités tient plus de la goutte d’eau faisant déborder le marigot que du scandale d’État. Il n’empêche : le procédé est à la hauteur du mépris que Jean-Michel Blanquer témoigne à toutes celles et ceux qui font tourner l’école, plus préoccupé qu’il est par ses combats idéologiques néoconservateurs personnels que par les revendications émanant du terrain. « Son » école a pour but la « transmission des savoirs fondamentaux », point à la ligne. Quant aux conditions nécessaires aux apprentissages, la question ne l’empêche visiblement pas de dormir.

C’est pourquoi, en janvier, au côté des enseignant·es grévistes, toute une myriade d’autres acteurs et (surtout) actrices, sans qui l’école ne tiendrait pas debout, s’est rappelée à son bon souvenir en se mobilisant également. Dans cette foule en colère, les accompagnantes des élèves en situation de handicap (AESH) qui courent les CDD à 700 € le mois et jonglent d’une école à l’autre. Mais aussi les assistants d’éducation (AED) qui galèrent avec leurs statuts précaires au sein des collèges et lycées du réseau d’éducation prioritaire [lire pp. II, III & IV]. Ou encore les agentes territoriales spécialisées des écoles maternelles (Atsem) embauchées par les mairies, qui cumulent présence en classe, gestion de la cantine et heures de ménage sans reconnaissance aucune [p. V]. Et puis les infirmières scolaires, en sous-effectif chronique, à qui on a demandé de gérer le tracing des cas contacts quand elles peinaient déjà à assurer le service minimum [p. VI].

C’est à ces voix méprisées que CQFD consacre ce dossier. Une chose est sûre : l’école, elles la font bien plus que Blanquer.

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CQFD n°206 (février 2022)

Dans ce numéro qui fait sa fête à Blanquer, un dossier sur « les prolos invisibles de l’éducation nationale ». Mais aussi : un détricotage de la Macronie sécuritaire, un entretien anthropologique sur le règne des frontières, une plongée en bande dessinée sur la question du « rétablissement » en psychiatrie, des vaccins communards, des Balkans en tension et des auteurs de science-fiction qui jouent aux petits soldats.

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