Histoire

Des oubliés de la résistance ouvrière au nazisme

Loin de l’aveuglement de l’Internationale communiste à l’arrivée au pouvoir d’Hitler, le Jewish Labor Committee, syndicat juif américain, l’avait très vite compris : « Lorsqu’un gouvernement commence à persécuter les juifs, il s’ensuit inévitablement qu’il persécutera le mouvement ouvrier. »
D.R.

Le 30 janvier 1933, Adolf Hitler est nommé chancelier du Reich par le président de la République, le maréchal Hindenburg – non parce qu’il a gagné des élections (aux présidentielles de 1932 le premier avait à peine atteint 30 % des suffrages exprimés), mais à l’issue d’une longue crise économique, politique et sociale qui voit la grande bourgeoisie se résoudre à cette dernière solution pour conserver son hégémonie face à des partis ouvriers divisés mais redoutés.

L’Humanité, éblouissante de lucidité, titre : « Le résultat d’un moindre mal : Hitler chancelier » tandis que l’Internationale communiste, inspirée par le génial Joseph Staline, déclare en avril 1933 : « L’institution de la dictature fasciste manifeste, qui réduit à néant les illusions démocratiques des masses et soustrait les masses à l’influence de la social-démocratie, accélère la marche de l’Allemagne à la révolution prolétarienne. (sic)  »

Tout le monde était-il aussi aveuglé ? Eh bien non, car, aux États-Unis, un personnage méconnu, Abraham Plotkin, joua un rôle déterminant pour alerter le mouvement syndical américain des dangers du nazisme. Ce dernier, d’origine juive russe, est un militant de l’International Ladies Garment Workers Union (ILGWU) – syndicat international des ouvriers de la confection féminine – affilié à l’American Federation of Labor (AFL). Il réside en Allemagne de novembre 1932 à mai 1933 et assiste à la défaite sans combat du mouvement ouvrier le plus puissant d’Europe et aux premières mesures antisémites des nazis.

Dès son retour, il consacre un article à la persécution des dirigeants ouvriers qui contribue à convaincre William Green, le président de l’AFL, de lancer un boycott contre les biens et services allemands. Plotkin participe aussi à la campagne pour sauver le secrétaire des syndicats de la confection allemands, Martin Plettl, qui sera le premier militant ouvrier allemand accueilli aux États-Unis.

En février de l’année suivante, le Jewish Labor Committee (JLC) est fondé au cours d’un meeting à New York qui réunit un millier de délégués du monde ouvrier juif – le secteur essentiellement new-yorkais des travailleurs de la confection. Ses animateurs sont d’anciens militants du Bund – abrégé de l’« Union Générale des ouvriers juifs de Russie, de Pologne et de Lituanie » créée à Vilnius en 18971. Contraints à l’exil après l’échec de la révolution de 1905, ils sont parvenus en deux décennies à la tête du mouvement syndical juif américain. La personnalité de son fondateur, Baruch Charney Vladeck (1886-1938), est emblématique de cette génération de bundistes émigrés.

Pour ces syndicalistes, socialistes et non communistes, juifs et non sionistes, « lorsqu’un gouvernement commence à persécuter les juifs, il s’ensuit inévitablement qu’il persécutera le mouvement ouvrier ». Le JLC s’emploie dès sa naissance à construire des liens internationaux et à constituer des réseaux d’information et de solidarité avec des filières allemande, italienne et espagnole. Il développe en même temps une active politique antinazie, participant en particulier à la campagne de boycott des produits allemands aux États-Unis.

Alors que les Jeux olympiques de Berlin se profilent, le JLC figure parmi les partisans d’un refus américain d’y participer, puis il est la cheville ouvrière des contre-olympiades tenues les 15 et 16 août 1936, les derniers jours des Jeux de Berlin, au Randall’s Island Stadium de New York. Il établit également des liens avec le groupe socialiste de gauche allemand Neu Beginnen (« Nouveau Départ »).

Avec le début de la guerre, ce sont les opérations de sauvetage qui dominent l’activité du JLC avec Frank Bohn et Varian Fry à Marseille, dont l’action est désormais reconnue, mais dont la dimension politique est largement sous-estimée. Depuis la Lituanie occupée par les Soviétiques, le JLC organise miraculeusement durant quelques mois une filière de sauvetage de militants bundistes polonais grâce à un consul japonais.

Ensuite, ce sont la France et la Pologne occupées qui sont au centre de ses préoccupations. Pour la première, le JLC soutient l’unité syndicale et la résistance socialiste françaises. Pour la seconde, face au génocide, le JLC fournit argent et armes aux résistants du ghetto de Varsovie, tente d’engager une aide humanitaire aux juifs de Russie et essaie d’alerter l’opinion publique sur l’ampleur du massacre en cours. Il participe aussi à la campagne en faveur de Wiktor Alter et Henryk Erlich, les deux dirigeants polonais du Bund exécutés en URSS. Tout au long de son histoire, le JLC se heurtera au « mur de papier » mis en place par le Département d’État pour limiter drastiquement l’émigration des juifs persécutés.

Aujourd’hui, l’action du JLC résonne comme le chant du cygne de l’ancien mouvement ouvrier avec le triomphe du sionisme dans le monde juif et l’intégration du syndicalisme à l’État et son corollaire, l’abandon de l’internationalisme. C’est, en tout cas, une page méconnue de la solidarité internationale ouvrière à découvrir à l’heure où les nuages s’amoncellent sur la scène internationale, entre barbarie de Daech et cynisme des politiques impérialistes.

Oncle Charlie

À lire : Catherine Collomp, Résister au nazisme – Le Jewish Labor Committee, New York, 1934-1945, CNRS Éditions, 2016.


1 À ce sujet, lire Henri Minczeles, Histoire générale du Bund – un mouvement révolutionnaire juif, Denoël, 1999.

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