Intermittents

« Des enfants gâtés qui pleurent la bouche pleine »

Une salle d’école, remplie jusqu’à la garde de vieux mollusques et de jouvenceaux à la peau outrageusement brillante. Des ahuris qui, brandissant des pancartes « Votez Hidalgo », se font écraser les pieds par le cameraman d’une télévision belge, mais ils ne protestent pas, ils sont contents. Ça fouette un parfum de classe moyenne bien supérieure, voire carrément supérieure. Nous, là-dedans, éparpillés dans la foule compacte aux quatre coins de la salle, nous sommes cinq ou six intermittents et précaires qui attendons avec impatience la fin de ce moment de solitude. À la réunion de coordination quelques heures plus tôt, décision avait été prise de ne pas chahuter Anne Hidalgo pendant son discours, mais d’attendre sagement qu’elle en ait fini avant de « poser nos questions ». Moi, j’étais de ceux qui plaidaient pour une action plus offensive, mais l’inquiétude de « donner une mauvaise image » l’avait emporté, le bon goût et le sens des convenances pèsent aussi sur nos luttes, c’est comme ça. Maintenant, on est obligés d’attendre que la star du « Paris qui ose » termine d’enfiler ses perles pour ouvrir nos gueules. Déjà qu’il a fallu se fader la rotation à la tribune de toute la brochette des élus socialistes du 9e arrondissement parisien, écolo de service et trophée du Modem en prime. C’est le second tour des municipales dans trois jours, la victoire d’Hidalgo paraît acquise, alors les notables réclament déjà leurs miettes de gloire.

Je ne donnerai pas les noms, mais certains parmi nous ont mollement applaudi ces sacs à mots vides, histoire de ne pas se faire remarquer du service d’ordre. Hidalgo a commencé son speech il y a moins de cinq minutes qu’un copain infiltré dans les premières lignes n’y tient plus et mange la consigne. « Vous pensez quoi de la nouvelle convention Unedic ? Vous nous avez fait expulser du Carreau du Temple, pourquoi ? », hurle-t-il. Panique à la tribune, cris indignés dans la salle, brouhaha. Les gros bras du PS fendent la foule pour se jeter sur le trouble-fête – ce sont les mêmes sales types à écharpe rose qui avaient aspergé de lacrymo les camarades venus protester à la permanence de Hidalgo après leur expulsion dimanche dernier1. Pendant qu’ils l’embarquent manu militari, un autre s’y met, et rebelote. Posté tout au fond, l’envoyé spécialement précaire de CQFD a le temps de gueuler tout son saoul « Honte à vous ! Honte à vos CRS ! Honte à vos collabos communistes ! » avant de se faire dégager à son tour.

Dehors, les RG ont anticipé la protestation de rue provoquée par l’avant-dernier meeting de la championne socialiste, mais il y a encore quelques manifestants sur le trottoir de l’école Milton. À peine la salle a-t-elle été expurgée de son dernier intermittent que le public commence à détaler. Les socialistes se dispersent dans la nuit en rasant les murs, quelques-uns, plus socialistes encore, s’arrêtent pour « dialoguer ». On apprend qu’Anne Hidalgo a écourté son discours et qu’elle s’est carapatée par la porte de service. Un retraité mécontent de l’interruption du show débonde sa rancune sur les galériens de l’Unedic : « Vous me faites penser à des enfants gâtés qui pleurent la bouche pleine. » Oh oui, on a la bouche pleine, on s’amuse bien et on en veut encore. Demain matin, rendez-vous pour une action rue Solferino.

Par Pirikk.

1 Dimanche 23 mars (note du webmaster).

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