Grève chez les croque-morts

Coup de pompes funèbres

Après plus de deux décennies de silence, les travailleurs marseillais qui s’occupent des morts et de leurs familles sont en grève. Face à eux, les autorités municipales, d’accord avec le syndicat majoritaire, n’ont qu’un seul souci:maintenir leur pouvoir mortifère. Récit.

SUR LE PORTAIL du cimetière Saint-Pierre, dans l’Est marseillais, la banderole bat dans le vent : « Pompes funèbres en deuil. » Parole de spécialistes. Cela fait une semaine maintenant que les municipaux ne font plus ni convoi, ni enterrement,ni incinération. « Croque-morts ? C’est pas le bon mot ! », dit Jean-Marc. « Nous, on est chauffeur, porteur ou maître de cérémonie. » En ce matin du 30 mars, ils ont quitté le dépôt qu’ils occupent en ville depuis six jours pour rencontrer un responsable des services. « On demande une prime mensuelle de 300 euros. Chez nous,il y des gars qui,après plus de trente ans de boîte, ne touchent que 1 500 euros ! Depuis 1970,la prime de mise en bière n’a pas bougé. Avec le partage du monopole, en 1998, et l’arrivée du privé (50% du marché), on doit être polyvalent, faire des choses qui n’étaient pas notre boulot, comme les soudures sur les cercueils plombés qui partent à l’étranger  », reprend un de ses collègues. Sentiment d’injustice, car un chauffeur de la Mairie qui promène les élus gagne en moyenne 800 euros de plus par mois. « On fait un travail très difficile. Le plus dur,c’est quand il s’agit d’enfants. On voit des choses terribles. Quand, à l’hôpital de la Timone, on met en bière des corps qui ont été autopsiés… je préfère ne pas raconter », dit un des chauffeurs, alors que les autres regardent le sol. Et Dédé d’enfoncer le clou : « On est quatre par convoi alors qu’on devrait être cinq, il faut savoir quand même que nous sommes les moins bien payés des territoriaux alors que c’est un des services qui rapportent le plus ». « On est toujours en stress. Il faut arriver à tout coordonner, la police, la cérémonie religieuse, la circulation, tout en créant un climat le plus paisible possible pour les familles. On n’arrête pas de s’excuser »,

par Berth

continue un chauffeur. « Nous sommes en relation constante avec les parents et les proches. On est au premier rang, toujours à l’écoute. Ce sont des moments durs et intenses. Quand je rentre le soir d’une journée où j’ai fait un convoi pour un enfant, ma femme le voit tout de suite. Et personne pour nous aider,aucun soutien ni suivi psychologique », poursuit un des plus jeunes chauffeurs.

Deux ans que ces salariés menaçaient de faire grève. Leur syndicat d’alors, FO, dont on ne sait qui de lui ou de la Mairie ont autorité l’un sur l’autre, n’a eu de cesse de leur dire d’attendre… les élections et d’hypothétiques tables rondes… Les employés, à bout de patience, se sont donc lancés seuls,entre eux et pour eux, avec le soutien du SDU13- FSU1 : « On sait bien que ça pose de graves problèmes aux familles qui sont obligées de se tourner vers le privé où elles vont payer le double du prix. Mais si on arrête le travail, ce n’est pas à la légère. Ça fait 24 ans qu’il n’y a pas eu de grève dans ce service », ajoute Dédé. De fait, 98% des employés ont cessé le boulot,le reliquat étant composé d’encartés restés « fidèles » à FO et qui font savoir aux grévistes que le syndicat est prêt à les soutenir,à condition qu’ils reprennent immédiatement le travail.

Après plusieurs jours de disparition du pouvoir syndicalo-municipal, le 30 mars, c’est au directeur des opérations funéraires, dont ne dépendent que les porteurs et les maîtres de cérémonie2, de monter au front. Dominique Roffin, par ailleurs cadre FO, affirme comprendre le mécontentement des employés mais déclare ne pas être en mesure de demander des négociations. « S’ils veulent nous diviser,ils se trompent. On est tous solidaires  », répondent en choeur les grévistes. De toute façon, Maurice Rey, adjoint au maire à la délégation des Pompes funèbres, aurait reçu l’ordre de ne recevoir personne. C’est dans les heures et les jours qui suivent que les raisons du silence et des petits pas municipalo-syndicaux vont prendre tout leur sens. Croisé par les grévistes devant la Mairie de Marseille, Jean-Claude Gondard, secrétaire général de la Ville, esquive en lâchant un « je n’ai pas le temps » avant de leur envoyer le responsable des relations publiques pour un moment de compassion. Ceci fait, un « petit conseil d’ami » fuite de la bouche de l’intermédiaire municipal : « Si vous voulez négocier, il faut que vous ayez le syndicat majoritaire avec vous… » FO, bien sûr ! Et rebelote le surlendemain : Patrick Rué, le secrétaire général adjoint de FO se présente au dépôt pour annoncer que Gondard est disposé à ouvrir des négociations si les grévistes acceptent que son syndicat y participe. Tergiversations, discussions, calculs sur les feuilles de paye… En traînant des pieds, suspension de la grève !… Faut dire que pour les autorités locales, le choix aura été cornélien : entre augmenter les revenus de ces salariés, au boulot si pénible, assurer aux familles des défunts un service public décent et sauver la face du syndicatmaison ici discrédité par quelques réfractaires lucides, il fallait trancher en fredonnant cette « onorable » comptine : « je te tiens, tu me tiens… »


1 Syndicat démocratique unitaire des Bouches-du-Rhône.

2 Les chauffeurs dépendent du service Transport atelier magasin.

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