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Chers administrateurs d’« Entreprendre »

Disons-le tout net : je suis tristesse. Esprit vif et ouvert, j’attendais beaucoup du 307e numéro de votre beau mensuel, dont la une pavoise sous forme de maousse publicité dans divers recoins de mon rieur voisinage. Particulièrement gratinée, ladite une. Collector, même. Sous le titre « Ambition, la méthode gagnante – ils vont jusqu’au bout de leurs idées ! » s’y étalent les ganaches triomphantes de quatre personnalités de haute tenue, à savoir Xavier Niel, Teddy Riner, Emmanuel Macron et... Donald Trump. Quatuor audacieux, tenant autant de l’inventaire à la Prévert que de la revendication des valeurs de votre magazine – que l’on peut résumer ainsi : on kiffe les winners (et peu importe si ce sont de dangereux psychopathes).

Alléché par l’association folie trumpienne/valeurs patronales ainsi avancée, j’ai donc prestement sorti les 4,90 euros demandés et me suis rué dans mon plus beau canapé pour déguster votre prose. Et là, bim, déception ! Je n’ai trouvé dans les pages de votre épais dossier (épuisant gloubi-boulga motivationnel dont il ressort qu’il faut trouver sa voie) aucune mention de Trump. WTF, comme disent les djeunes. Pire : sur les 170 lloongguueess pages de ce numéro de février, son nom est quasiment introuvable. La plus notable apparition se trouve en page 149, où un certain Francis Dominguez, visiblement sous l’emprise de chatoyantes substances psychédéliques, livre une chronique d’une page au titre uppercut : « L’élection de Trump leur a donné une sacrée claque ». Bel essai, qu’il m’est malheureusement impossible de résumer, sa prose étant à l’analyse politique ce que le cubisme était à la peinture figurative. Extrait : « On dirait que ça les brûle de voir un homme riche, sauf quand ces riches mettent beaucoup d’argent pour qu’ils puissent être subventionnés pour pouvoir continuer leur connerie – toujours avec l’argent des autres bien sûr – de ces autres qu’on traite de milliardaires. » Je n’aurais mieux dit, bonhomme (et si jamais tu peux faire tourner ton plan kéta, je suis preneur). Plus loin, Mister Dominguez, ci-devant « avocat à la cour », se prend à rêver d’un combat de boxe De Niro vs. Trump, imaginant le « petit » Robert étalé dans la poussière par le « grand » Donald. On a les fantasmes qu’on mérite.

Donc bon, ok, LSD Dominguez sauve l’honneur. Mentionnons également la fugace apparition dudit Trump dans les glorieuses pages bloc-notes du patron du mensuel, Robert Lafont, qui aligne sous le délicat intitulé « Copé à la rescousse des entrepreneurs, sur le modèle Trump ? » quelques lignes encore une fois profondément imbitables (c’est plus un titre de presse, c’est Katmandou-sur-défonce). Mais ça s’arrête là. Pour le reste, peanuts. Le roi de la Golden Shower est introuvable, alors même qu’il est l’élément dominant de votre couverture (en taille comme en position, il écrase ses trois camarades franchouillards). Publicité mensongère, j’écris ton nom en urine d’or.

Et c’est dommage, merde. Parce que pour le reste, votre magazine brille clairement au firmament de la presse exigeante. Outre des graphistes accrochés au bel objectif de déclencher un maximum de crises d’épilepsie chez le lecteur, vous endossez fièrement de la première à la dernière page vos costumes racornis d’amis du patronat. Citons ainsi cet autre morceau de gloire qu’est l’entretien avec l’économiste Christian Saint-Etienne, pensum néo-libéral plus affligeant qu’une soirée méchoui chez des racistes végan, lequel s’orne d’une photo bien laide dudit capitalolâtre en compagnie du boss du journal. Pour légende : « Christian Saint-etienne et le patron d’Entreprendre, Robert Lafont : deux militants de l’esprit d’entreprendre et du redressement économique.  » Youkaïdi youkaïda.

Le reste est à l’avenant, entre pubs déprimantes, publi-reportages sous Prozac, « reportage » galamment titré « Et si l’Algérie devenait l’atelier de l’Europe ? » et double du « cahier pratique du dirigeant » intitulée « Faire payer un créancier ». Je m’arrête là parce qu’en fait je me rends compte que je pourrais citer l’intégralité de votre brillant magazine, lequel prouve par A+B ce que l’on sait déjà tous en notre for intérieur : non seulement les riches sont emmerdants à mourir, mais ils sont en outre cons comme des balais. Well done, dudes.

Voilà pourquoi, chers administrateurs d’Entreprendre, je vous prie d’enfin franchir le Rubicon(d) et d’assumer ce fantasme que vos inconscients d’engraissés pathologiques ont semble-t-il déjà largement intégré jusqu’à l’afficher en couverture. Vous rêvez d’un homme fort et liberticide pour bien protéger les patrons ? Assumez ! Allez « jusqu’au bout de vos idées » ! Et criez-le bien fort : in Trump we trust !

Émilien Bernard
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