Faux amis

Bons et loyaux sévices

Sebastian Roché, sociologue spécialiste des relations entre police et population, a été limogé de son poste d’enseignant auprès de l’École nationale supérieure de la police. Sa faute ? Avoir été trop distant envers l’institution qui le nourrit. Un positionnement critique assez nouveau chez un universitaire qui avait jusqu’alors fidèlement accompagné la dérive sécuritaire en France.

Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS et sociologue spécialiste des relations entre police et population, a été limogé, le 20 août dernier, de son poste d’enseignant auprès de l’École nationale supérieure de la police1. Sa faute ? Avoir été trop distant envers l’institution qui le nourrit.

Dès lors, l’universitaire s’est lâché à grands coups de tonfa dialectique… « Il y a eu 115 journalistes blessés pendant les manifestations des Gilets jaunes, des ONG empêchées de travailler, et puis maintenant, ils font un peu de ménage dans la formation. Ce n’est bien sûr pas une situation comparable à une dictature, mais mis bout à bout, il y a un ciblage des personnes qui ont un regard critique sur la police. Le ministre de l’Intérieur n’a pas la maturité démocratique pour le débat, elle n’est pas complètement absente, mais elle est très fragile. Par moment elle se développe, il y a des gens courageux qui veulent dialoguer, mais ce n’est pas structurel. »

Et d’enfoncer le clou dans le bouclier anti-émeute : « Les nombreux témoignages vidéo éclairent d’une autre manière l’exercice de la violence d’État, et ont plus de force de conviction que des récits oraux. Cela permet de se faire une idée par soi-même de l’action de la police. Ce n’était jamais arrivé en France à cette échelle. Une partie de la population, des journalistes, des avocats, des universitaires estime que c’est illégitime. La défiance vis-à-vis de la police est alimentée par sa violence, mais aussi parce que de tels actes sont présentés comme légaux. » Pas étonnant que les syndicats les plus droitiers de la maison poulaga aient exigé le départ d’un tel ultragauchiste.

Mais cette libération de la parole chez Sebastian Roché est d’autant plus détonnante qu’elle provient d’un expert ès « incivilités »2, notion en vogue sous Chevènement et Sarkozy dès lors qu’il s’agissait de passer au kärcher « sauvageons » et autres « racailles ». Le concept a été l’une des multiples adaptations de la théorie de la vitre brisée3, elle-même à la base de la doctrine de « tolérance zéro » déployée par Rudy Giuliani, ancien maire de New York (et actuel conseiller de Trump sur le dossier ukrainien). En gros, pour lutter contre le sentiment d’insécurité, il faut punir avec la plus grande sévérité toutes ces nuisances sociales qui ne blessent pas physiquement les personnes, mais bousculent les règles élémentaires de la vie sociale permettant la confiance. De façon très utile dès lors qu’il s’agit de justifier une approche répressive, ces comportements déviants sont très variés et très difficiles à définir précisément : crachats, graffitis sur les murs, dégradations du mobilier urbain ou d’édifices publics, attroupement d’individus potentiellement menaçants, batailles de regards, bruit, insultes et manque de respect au quotidien.

Roché va servir de caution universitaire au tournant sécuritaire opéré par la gauche française en 1997 après le colloque de Villepinte intitulé « Des villes sûres pour des citoyens libres ». C’est là que fut réaffirmée la vieille formule conservatrice de « la sécurité première des libertés ». À tout prendre, il vaut mieux vivre dans une société d’ordre – quitte à s’asseoir sur quelques libertés individuelles. Ce qui se traduira par la pénalisation de certains comportements comme l’occupation de halls d’immeuble, transformée en délit par la loi de sécurité quotidienne en 2001. Sarkozy, ministre de l’Intérieur à partir de 2002, ne fera que continuer sur cette lancée, en ajoutant notamment le racolage passif. Un délit finalement abrogé en 2013 en raison de sa difficulté de mise en œuvre, voire de sa dangerosité – il fragilisait les prostitué(e) s.

Quant à Roché, il aura accompagné la dérive sécuritaire en France jusqu’au mouvement des Gilets jaunes. Le voici victime collatérale des deux.

Iffik Le Guen

1 Libération du 27/08/2019.

2 Le sentiment d’insécurité en 1993, Insécurité et libertés en 1994, La société incivile en 1996.

3 Définie en 1982 et dont le postulat de base pourrait se réduire à « qui vole un œuf, vole un bœuf » selon le sociologue Loïc Wacquant, auteur des Prisons de la misère (éd. Raisons d’Agir, 1999) sur les politiques pénales aux États-Unis.

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