Mali

Balade dans une poudrière

Cheminant depuis son village proche de la frontière mauritanienne jusqu’à Bamako, Moussa nous raconte ce qu’il a vu et entendu durant le coup d’État au Mali. Entre sentiment d’abandon, autonomie vécue plus que revendiquée et présence militaire qui se renforce à mesure que l’on approche de la capitale. Récit.

« J’ai appris l’existence du coup d’État à la radio, le lendemain, le 22 mars.  » À Kersignané, dans l’ouest du Mali, à quelque six cents kilomètres de Bamako, la déclaration des mutins a causé de vives discussions. « Pour beaucoup, raconte Moussa à CQFD, l’ex-président Amadou Toumani Touré [ATT] est un homme bien. La plupart des gens pensent que le coup d’État est une connerie. » Surnommé le « militaire démocrate », ATT a vécu et péri – politiquement – par les armes. Instigateur du coup d’État de 1991 qui renversa Moussa Traoré, il fit le geste rare de rendre le pouvoir aux civils après avoir assuré l’intérim. En 2002, il démissionne de l’armée afin de se présenter à la présidentielle. Il sera élu en affichant, pour seul programme, la volonté de travailler avec tout le monde, au-delà des barrières partisanes. Réélu en 2007, sa mauvaise gestion de l’insurrection touareg et salafiste

par L.L. de Mars

lui coûtera le pouvoir, le 21 mars dernier, à un mois de la fin de son mandat. À être trop consensuel, à trop vouloir faire des grands écarts, ATT a fini par se péter les adducteurs.

Il ne faisait pourtant pas non plus consensus, à Kersignané. Quelques griefs à son égard sont, ici, restés. « Les gens ici ne cherchent pas les raisons politiques, ils voient seulement la tête. Mais qu’est-ce qu’il a fait, ATT, pour notre village ? » Selon Moussa, pas grand-chose. On pourrait chercher, en revanche, ce qu’il a fait plus ou moins directement contre eux. Un exemple : le sympathique accueil qu’il réserva à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, venu présenter son projet d’immigration choisie et le durcissement des conditions d’entrée sur le territoire français. Un coup dur lorsque l’on connaît l’importance de l’émigration dans l’économie des villages. À Kersignané, il n’est pas évident de trouver trace du pouvoir étatique. Son économie n’est aucunement branchée sur Bamako, mais repose davantage sur les flux migratoires, l’élevage et la culture des sols : « L’école comme le puits, c’est nous, les travailleurs immigrés, qui les avons financés. Nous produisons nous-mêmes notre nourriture, et ni l’État, ni le président ne se sont jamais occupés de notre village. » L’année dernière, tout comme cette année, la sécheresse a ravagé les récoltes et décimé les troupeaux. Lorsque ce genre de catastrophe arrive, le village doit s’organiser seul face aux aléas climatiques. « Nous, on est un village qui n’a pas recours à l’État, on peut créer par nos propres moyens. Par exemple, lorsqu’il y a la sécheresse, on met en place un réseau de solidarité qui nous permet de tenir. » Seule demeure, au seuil du territoire malien, la douane qui taxe de manière abusive toute marchandise arrivant de Mauritanie. On peut se demander ce qui, dans les bouleversements du pouvoir, peut affecter la vie de Kersignané. Loin de Bamako, la vie s’y déroule dans une relative autonomie.

Les conséquences du coup d’État, c’est à Yélimané, à cinquante kilomètres de son village, que Moussa les a rencontrées. En toute logique, plus l’on se rapproche des centres de pouvoir, plus la présence militaire est forte, même au plus petit échelon administratif, comme ce vieil héritage de l’administration coloniale qu’est le commandement de cercle. Et c’est la présence de cette courroie de distribution étatique qui expliquait la présence massive de militaires, et l’encerclement de toute la population dans la ville pendant une petite heure. C’est dans le dernier cercle, en arrivant à Bamako, que toute l’intensité se fait sentir. Il y a beaucoup de militaires en armes, et des coups de feu se font entendre tous les soirs. Vols, pillages, agressions sont le quotidien de ces quelques semaines de tension.

« En réalité, nous dit Moussa, la vie n’a que peu changé dans l’Ouest du Mali. » Seul Bamako, lieu du pouvoir politique, a ressenti la déflagration du coup d’État. Mais plus violente encore a été celle du Nord Mali, devenu l’Azawad le 6 avril dernier, depuis la déclaration d’indépendance des Touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Mais si personne ne sait vraiment qui, des salafistes ou des Touaregs, contrôle ces territoires, la situation n’est guère plus claire à Bamako. Entendu de Kersignané, le croassement des institutions internationales qui en appellent, inlassablement, à cette vieille rengaine de « l’unité nationale », doit sembler bien abstrait.

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