BAC de Marseille : encore une mort « accidentelle »

Il y a un an le jeune Morad Touat, 16 ans, mourait des suites d’une interpellation policière à Font-Vert, quartiers nord de Marseille. Comme de coutume, le policier à l’origine de la chute a été blanchi. De leur côté, famille et soutien ne lâchent pas l’affaire.
Un concert hip-hop « Vérité et justice pour Morad » est organisé ce vendredi 5 juin 2015 à partir de 19h (repas sur place) à la Dar Lamifa, 127 rue d’Aubagne, à Marseille. Avec : Boss One, K-Rhyme le Roi, Epsylone et Puissance Nord. Prix libre en soutien à la famille.

Le 1er avril 2015, la famille de Morad Touat et quelques amis se sont recueillis devant le bâtiment K, là où le jeune garçon a chuté du deuxième étage. Le 5 avril dernier, date anniversaire de son décès, au stade vélodrome, les MTP, groupe de supporters de l’Olympique de Marseille, avaient confectionné une banderole de plus de cinq mètres de long « À Morad parti trop tôt », brandie pendant la rencontre OM-PSG devant plus de 60 000 spectateurs. Un mois plus tôt, le 14 mars, plus d’une centaine de personnes s’étaient déjà mobilisées lors d’une soirée de soutien à la famille de Morad pour mieux comprendre comment la police des polices a clairement bâclé son enquête1 et pourquoi le procureur de la République de Marseille a décidé de classer le dossier sans suite, à peine trois mois après les faits. Le soutien populaire s’organise.

Par Tanxxx.

Que s’est-il passé précisément ce 1er avril 2014 à Font-Vert ? Deux policiers de la Brigade anti-criminalité entrent dans la cité en se faisant passer pour des clients à la recherche de shit. Ils se dirigent vers le point de vente, un bâtiment à l’intérieur duquel se trouve Morad, un des vendeurs ce jour-là. L’un des policiers reconnaît Morad et vice-versa. Démasqué, l’agent décide de le courser pour récupérer la sacoche qu’il portait en bandoulière. Quant à Morad, pris en flagrant délit et décidé à ne pas se laisser attraper, il court se réfugier dans un appartement du deuxième étage. Le policier continue sa poursuite jusqu’au balcon, contrairement à ce qu’il déclarera dans sa première déposition à l’Inspection générale de la police où il affirme ne pas être entré dans l’appartement, avant de se raviser le lendemain et d’avouer qu’il a même tenté de le « retenir » par le poignet droit. À terre, après sa chute, Morad est pris de convulsions. Le deuxième agent prétend l’avoir mis en position latérale de sécurité, ce que contestent des témoins affirmant qu’il l’a secoué violemment dans le seul but de lui retirer la sacoche. Les secours ont d’ailleurs été prévenus par un habitant, car les policiers, préoccupés avant tout par leur propre sécurité, choisissent d’appeler des renforts et forment un cordon dans les minutes qui suivent.

Depuis, la famille de Morad Touat lutte pour obtenir vérité et justice. Vérité, parce que les circonstances précises du drame ne sont toujours pas élucidées plus d’un an après les faits, et parce que la seule enquête à ce jour, celle de la police des polices, a fondé ses conclusions sur la foi d’un seul témoignage. Justice, parce que le policier qui a pris en chasse Morad a reçu la médaille de la sécurité intérieure décernée par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, en « l’absence d’infraction » de la part des policiers à la veille de la clôture du dossier. Déterminées à ne pas baisser les bras, la maman de Morad et sa tante ont porté plainte auprès du doyen des juges d’instruction. Après des mois d’attente insupportable, elles ont appris qu’une information judiciaire avait finalement été ouverte, le jour même de la commémoration du décès.

Cet évènement tragique n’est pas un fait divers, et Morad n’est pas responsable de sa propre mort. Il est la conséquence de la politique sécuritaire menée par le ministère de l’Intérieur dans le cadre de la « guerre contre la drogue ». Aux États-Unis, les effets de plus de quarante ans de « guerre contre la drogue » sont maintenant largement dénoncés, et notamment la destruction des communautés noires et latinos par le harcèlement policier et judiciaire, ainsi que par l’incarcération de masse. En France, et à Marseille en particulier, les pouvoirs publics et les médias préfèrent parler de « guerre de la drogue », évacuant la question des politiques répressives et réservant leur « émotion » et leurs gros titres aux règlements de comptes et aux reportages sensationnalistes sur les quartiers nord « gangrénés par le trafic de stupéfiants ».

Aussi, il n’est pas étonnant que le harcèlement, le quadrillage, les violences quotidiennes, la peur de la police et les morts qu’elle peut provoquer soient passés sous silence. Les morts ne sont plus dès lors que les dommages collatéraux d’une interminable « reconquête » de ces quartiers.

En 2013, déjà, Ayraut se félicitait  : « S’il y a ces règlements de comptes, c’est parce que la police est en train de faire son travail.2 » Depuis, des « plans », des « mesures », des « priorités » sont définis pour mener cette guerre. Mis à part l’idée de déployer des drones pour surveiller les quartiers nord ou d’envoyer l’armée pour assurer la paix, l’envoi de 230 policiers supplémentaires à Marseille fut ainsi décidé, accompagné de la création d’unités spécialisées et d’un groupe de renseignement destinés à « lutter contre le trafic ». La police jongle à Marseille entre deux stratégies, d’une part les interventions ciblées, le plus souvent par des policiers en civil, d’autre part un encerclement du quartier jour et nuit  : « D’abord une descente musclée, puis un siège en règle. Ils postent des cars de CRS à toutes les entrées et y contrôlent systématiquement ceux qui entrent et qui sortent […]. Le blocus doit durer un mois plein3 ». Une méthode aux objectifs des plus simples, résumés par un commissaire marseillais  : « Ça perturbe leur quotidien. L’idée est de leur transmettre un sentiment d’insécurité4 ». Font-Vert fait partie de la vaste zone de sécurité prioritaire « Marseille quartiers nord » qui englobe les 3e, 14e, 15e et 16e arrondissements de la ville, et qui à ce titre voit se multiplier les « descentes », les mesures de quadrillage et/ou d’interpellations par des unités en civil parties en chasse. C’est cette méthode qui provoque les sentiments de peur face aux opérations de police ou aux simples contrôles. Ce « sentiment d’insécurité », Morad en est mort, Zyed et Bouna aussi.


1 Voir la contre-enquête publiée par le Collectif Angles morts.

2 Cité dans « Au-dessous du cocotier », CQFD, n°114, septembre 2013.

3 Olivier Toscer, « Marseille. Plans stups et meurtres barbecue », Nouvel Obs, 21/04/2013.

4 Cité dans « Au-dessous du cocotier », CQFD, n°114, septembre 2013.

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2 commentaires
  • 4 juin 2015, 13:26, par Adx

    Je ne cautionne pas la politique des guerres contre les drogues mais n’est-ce pas « normal » que la police entraîne un sentiment d’insécurité chez les criminels et délinquants ?

    Au moins la peur de se faire arrêter pour un délit.

  • 3 septembre 2016, 01:36, par JOAN DE LA I

    Mais quel torchon... C’en est dégobillant.

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Paru dans CQFD n°132 (mai 2015)
Par Collectif Angles Morts
Illustré par Tanxxx

Mis en ligne le 04.06.2015