Édito-sommaire

Au sommaire du n°145 : spécial « Mauvaises Langues »

En kiosque à partir du vendredi 01 juillet jusqu’à fin août 2016.
En une : « Glottophobie » d’Etienne Savoye.
Un article sera mis en ligne, chaque semaine. Les autres articles seront archivés sur notre site trois mois plus tard. D’ici-là, tu as tout le temps d’aller saluer ton kiosquier ou de t’abonner...

L’édito : Aimons-nous, bordel !

C’était le 18 mai dernier. Condés de France et de Navarre manifestaient leur colère face à une « haine anti-flic » grandissante. Entre état d’urgence et fureur urticante contre la loi Travaille !, « la police est fatiguée », diagnostiquait don Falcone, directeur général de la Police nationale. Et si tout ce merdier social n’était en fait que la résultante d’un cruel manque d’amour ? N’est-ce pas ainsi qu’il fallait entendre l’édito de Patrick Cohen, le 17 juin sur France Inter ? Si l’humeur est sombre, c’est bien que l’heure est grave. La haine est partout, nous apprenait le Patoche du 7/9. Haine islamiste, anti-gay, anti-syndicale, anti-gouvernementale, etc. « Et encore [et toujours !], dans cette époque déprimante, la haine de l’autre, la haine antisémite jamais loin, la haine de classe, la haine des riches, puisque certains se revendiquent désormais richophobes. »

Fichtre... L’ami Cohen mesure-t-il à quel point ses envolées dépressives sont des incubateurs à dépolitisation ? Contre ces tensions anormales qui minent le pacte républicain, il s’agirait de broder le canevas du vivre-ensemble et de fumer le calumet du dialogue social pour retrouver enfin le chemin d’une démocratie aimante et apaisée. De quoi la richophobie est-elle le nom, sinon celui d’une vieille passion égalitaire totalement désuète ? Le dogme libéral ne cesse de le rabâcher : ce n’est qu’en gavant de pognon une oligarchie de plus en plus stratosphérique que, par magique capillarité, quelque obole tombera parcimonieusement dans la poche rapiécée des plus humbles.

En France, entre 2003 et 2013, « le niveau de vie moyen des 10% les plus pauvres a baissé de 320 euros en valeur annuelle, alors que celui des 10% les plus riches a augmenté de 4 300 euros  », dixit Louis Maurin, dirlo de l’Observatoire des inégalités. Richophobe ! Les chiffres annuels de l’évasion fiscale, discipline dans laquelle excellent nos valeureux capitaines d’industrie, correspondent à ceux du déficit budgétaire du pays (60 à 80 milliards d’euros). Richophobe ! Face à ce déferlement de haine, remercions notre éditocrate matinal de nous avoir appelés à un sursaut de vigilance. Moins alerte, il aurait pu tomber dans le panneau tendu par ses confrères de la Coordination permanente des médias libres. Dans un article du 22 juin, ceux-ci faisaient état des blessures et intimidations infligées par la flicaille aux journalistes dans les marges du mouvement social en cours. «  Nous aimerions rappeler que notre métier doit être fait en toute indépendance et que le prix de l’information ne doit pas avoir le goût du sang. Nous sommes déterminés à montrer la vérité et la violence policière qui s’exerce sur l’ensemble des manifestant.e.s, et que nous dénonçons tout autant », conclut cette bande de haineux idéologisés. Cohen devrait leur expliquer qu’après la pluie des coups de tonfa germent toujours les graines de l’amour.

Graffitivre

Dossier spécial 16 pages : Mauvaises langues

Glottophobie, kabyle, breton, kanak, langue des Sourds, langue vulgaire, babil, etc.

C’est celui qui dit qui l’est

Le 25 mai, la députée LR Annie Génevard interpelle la ministre Najat Vallaud-Belkacem sur la réforme de l’enseignement des langues vivantes, qu’elle voit comme « un cheval de Troie pour développer l’apprentissage de la langue arabe » et le «  catéchisme islamique ». Au-delà de cette crasse islamophobie meublant à peu de frais la vacuité du discours politique, l’arabe est un cas d’école dans le traitement des parlers mal-aimés : le pays compte trois à quatre millions d’arabophones, qu’on reluque comme une secte articulant un dialecte hostile au lieu d’en profiter pour ouvrir les oreilles et les fenêtres. Imprégnée par la mentalité jacobine et coloniale, la France a un problème avec la diversité et les langues. En 2001, Claude Allègre, alors ministre de l’Éducation, déplorait, avec la finesse qu’on lui connait, qu’on veuille intégrer les écoles bretonnes Diwan au sein du système public  : « La France a besoin de fabriquer des informaticiens parlant anglais et on va fabriquer des bergers parlant breton ou occitan. » Résultat d’une telle absurdité : on perd les parlers vernaculaires et on enseigne mal les langues étrangères.

Rares sont les idiomes – à part le Turc – qui ont été imposés avec autant de morgue et de violence que le français. Demandez aux Gallois, aux Bavarois, aux Sardes, aux Basques ou aux Flamands de quel œil verraient-ils le rabaissement de leur langue au rang de patois. L’assimilation des populations dans le creuset de l’État-nation est passée par l’usinage d’une culture unique. Et pour imposer un monde, pour l’immobiliser, rien de tel qu’un hold-up langagier.

Une langue véhicule une culture, une cosmovision, une façon d’être au monde. En parler, dans ce pays encore plus qu’ailleurs, c’est porter le fer au cœur d’une bastille encore bien en place. « Une langue est un dialecte qui a réussi politiquement », selon le linguiste Louis-Jean Calvet. Cela ne veut pas dire qu’une langue, une fois partagée, est « fixée » une bonne fois pour toutes. Elle évolue à mesure que les êtres et les mondes dans lesquels elle s’enracine la transforment – et réciproquement. « À nous, qui ne sommes ni des chevaliers de la foi ni des surhommes, il ne reste, si je puis dire, qu’à tricher avec la langue, qu’à tricher la langue. Cette tricherie salutaire, cette esquive, ce leurre magnifique, qui permet d’entendre la langue hors-pouvoir, dans la splendeur d’une révolution permanente du langage, je l’appelle pour ma part  : littérature.1 » Bien d’accord, professeur, mais ici, au-delà des belles lettres et par-dessus la grammaire, nous causerons surtout oralité, gestualité, jargons libres et créoles de la rue.

Un dossier coordonné aux petits oignons par Mathilde Blézat et Julia Zortea.

Par Plonk et Replonk.

Enquêtes et reportages

Pour ce numéro d’été, l’équipe de CQFD est allée à la rencontre de Camille (oui, oui, le prénom a été changé), salarié, qui a participé au mouvement contre la loi Travail à Rennes, et nous fait découvrir le fonctionnement de l’assemblée générale interpro.

Nous en avons profité pour passer par Notre-Dame-des-Landes où le vote pour ou contre l’aéroport n’a guère pesé sur l’unité des opposants, bien enracinée et où l’on parle de « Refaire un dôme ».

Le gouvernement aimerait que l’immolation par le feu de Patrice devant la Caisse de retraite du Sud-Est à Marseille reste à la rubrique faits-divers. Mais, depuis 2011 en Tunisie, tout le monde sait qu’un tel geste lance un cri d’alerte. De retour chez-nous, CQFD est allé la rencontre de celui qui s’est mis le feu pour sa retraite.

Nous avons aussi rencontré le responsable d’une mosquée et suspecté « de radicalisation », Abdelkader Aziz, qui a subi avec sa famille une perquisition administrative aussi brutale que matinale. À part un vieux fusil cassé et quelques munitions, la police a fait chou blanc. Elle cherchait un sournois terroriste. Nous avons trouvé un Marseillais en verve.

Cultures et analyses

Pour bronzer utile ou futile, nous vous avons préparer quelques chouettes conseils de lectures et de cultures pour votre été : bouquins, bédés, théâtres... Ainsi d’une belle double page de "Vues de Marseille" comme on l’aime !

Mais aussi , anniversaire oblige, un retour sur la Révolution espagnole de 1936 (80 ans, déjà) ! Grâce à Henri Melich qui a 11 ans quand Franco lâche ses chiens contre la jeune république espagnole. Délicieusement bavard, il nous raconte son enfance toute particulière. La guerre gronde, mais l’élan révolutionnaire met des rêves plein les têtes. Le tout accompagné de conseils détaillés de lectures. Avec de telles barricadas de livres, ¡ No pasarán !

Nous nous sommes aussi posé cette question : Qu’advient-il lorsqu’un brillant universitaire à l’œuvre déjà foisonnante accède au statut de référence internationale de la contestation, brinquebalé de colloques en conférences, d’émissions en manifestations ? Car on peut se le demander à la lecture de Bureaucratie, le dernier livre de David Graeber, figure du mouvement Occupy, traduit en français aux éditions Les liens qui libèrent.

Sans oublier nos chroniques, nos coups de gueules et nos brèves internationales ! Ce mois-ci, on se demande ce qu’on va faire d’Eugénie Bastié, nouvelle égérie de du journalisme le plus réac. Mais nous allons aussi boire un coup avec des vignerons militants très rouges... et noirs.

Après tout ce travail, comprenez bien amis lecteurs et amies lectrices que nous allons prendre quelques vacances pour revenir en pleine forme en septembre, avec un nouveau numéro, une nouvelle maquette, un nouveau site internet et de nouveaux reportages.

A bientôt !!!


1 Roland Barthes, Leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France, 1977.

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