« M6, dégage ! »

Au Maroc, c’est le printemps tout le temps

Ça n’a pas loupé : à l’occasion des législatives marocaines de novembre dernier, remportées par le Parti justice et développement (PJD, parti islamiste « institutionnel »), les médias se sont réjouis des « réformes démocratiques » du roi Mohammed VI. Pour Nicolas Sarkozy, ces élections ont été « largement approuvées par le peuple marocain ». Rachida Dati déclara même, sans rire, que la révolution au Maroc « se déroule tranquillement ». Afin d’entendre un autre son de cloche sur cette révolution au long cours, CQFD est allé à la rencontre d’une Marocaine, Souad Guennoun, photographe et vidéaste casablancaise, et membre du Mouvement du 20 février (M20F). Entretien.

CQFD : Peux-tu nous rappeler comment est né le Mouvement du 20 février (M20F) au Maroc ?

Souad Guennoun : Ce mouvement se nomme ainsi parce qu’il y a eu un appel à manifester le 20 février 2011. C’était après les soulèvements en Tunisie et en Égypte, qui ont été très suivis au Maroc. À Rabat, un collectif de solidarité avec ces révoltes s’est créé, et a appelé à des sit-in devant le Parlement. Puis le mouvement s’est étendu aux autres villes. Au début, on y voyait les militants habituels, très vite rejoints par les syndicats et les jeunes. Mais les sit-in ont été interdits, et les manifestants bastonnés. On ne pouvait plus manifester notre solidarité avec les Tunisiens, même si l’on se sentait toujours concernés. C’est là que les jeunes blogueurs marocains ont lancé un appel à manifester le 20 février dans tout le pays. Ils ont établi une liste de revendications : d’abord, un appel à solidarité avec les Tunisiens et les Égyptiens, et ensuite les droits économiques, les libertés individuelles, une constituante démocratique, la fin du despotisme…

Quelle était l’atmosphère dans le pays, à ce moment-là ?

Le Maroc connaissait de nombreuses luttes, ressemblant à celles qui existaient en Tunisie et en Égypte. Rappelons que depuis les années 2000, de nombreux mouvements sociaux sont nés dans les villes marocaines, mais surtout dans des patelins, comme à Sidi-Ifni où, en 2008, les jeunes ont coupé la route du port pour dénoncer l’appropriation des ressources par des entreprises étrangères1.

À la même période avait lieu la lutte de Ghafsa, en Tunisie, dans les mines de phosphate. Elle a connu un écho international. C’était la même problématique : celle des jeunes au chômage, les inégalités criantes, les infrastructures publiques défaillantes… Il y a une trame commune dans tous ces pays.

Comment s’est déroulée cette journée du 20 février ?

Tout le monde a manifesté en même temps, dans tout le Maroc. À Casa, on s’attendait à voir les membres des associations de défense des Droits de l’homme, d’Attac, ou de l’extrême gauche, mais sont arrivées des nouvelles têtes, des jeunes… De plus en plus de gens ont rempli la place, reprenant en chœur le chant du poète tunisien Chabbi : « Quand le peuple veut la vie… ». Ça faisait de l’écho ! Il en était de même dans toutes les villes2.

Les manifestations se sont bien passées, sauf à El Hoceima, dans le Rif. Là-bas, les gens luttaient depuis des semaines, organisant des marches de villages en villages, qui convergeaient ensuite vers El Hoceima. Ce jour-là, il y eut des bagarres avec l’armée, des tirs, une banque a brûlé et cinq corps ont été trouvés à l’intérieur. Les flics ont dit que c’étaient des pillards, mais c’étaient de jeunes manifestants. Les familles continuent, aujourd’hui encore, à réclamer justice et vérité.

À Tanger aussi il y eut très rapidement des manifestations importantes, par l’ampleur et par les slogans. Au début, les mots d’ordre étaient timides : fin de la corruption, attaques des proches du roi, le fameux « dégage ! ». Puis, on a vu des banderoles sur le mélange pouvoir-politique-argent. L’Ona3 était représentée en pieuvre tenant tous les secteurs dans ses tentacules. Les anciens mots d’ordre étaient mis au goût du jour, c’était la première fois qu’on voyait ça.

Le gouvernement a commencé par laisser faire les manifestants. Puis à Souk Sebt, Fadwa Laaroui, une mère célibataire de 20 ans, s’est immolée le 21 février après avoir été arrêtée. On ne sait pas bien ce qui s’est passé. C’était la première victime femme, puis il y eut d’autres morts, et

par JMB

la terreur s’est abattue sur les petites villes. Par la suite, des rencontres ont été organisées entre les villes, et chacune a décidé de ses formes d’action pour poursuivre le mouvement.

Comment s’est organisé le mouvement dans ta ville, Casablanca ?

À Casa, un dimanche du mois de mars, alors que nous devions manifester, la police a commencé à arrêter les gens qui arrivaient. Nous nous sommes repliés dans le local du Parti socialiste unifié (PSU), un parti de gauche qui soutient le M20F. Le mot est passé que le lieu servait de refuge, les gens ont commencé à affluer, et le parking du local s’est transformé en assemblée ouverte. Entre 10 et 11 heures, les forces de l’ordre se sont déployées tout autour. Nous avons décidé de ne pas bouger tant qu’ils ne libèreraient pas nos camarades, et la foule a grossi. Puis les flics ont chargé et bastonné. Ils sont devenus fous, et beaucoup de monde a afflué sur le parking. Nous étions assiégés, nous ne pouvions ni entrer ni sortir, et il y a eu des blessés. Ils s’en sont pris à des gosses, à des personnes qui ne faisaient rien de mal. Ça a énervé les gens. Ce jour-là, ils ont aidé le M20F !

Alors, nous nous sommes mis à tenir une assemblée par semaine, et à distribuer des tracts – on s’organisait pour l’argent, pour les photocopies, etc. C’était nouveau, ça ne se faisait pas avant. Les flics ramassaient les jeunes qui diffaient. Dès que nous apprenions une arrestation, on se passait le mot, on se rendait devant le grand commissariat, on criait, on restait jusqu’à 2 heures du mat’ s’il le fallait. On n’avait jamais fait ça, on ne pensait pas pouvoir rester assis comme ça devant le plus gros commissariat de Casa ! Dans le lot, ils ont arrêté des lycéens, des jeunes filles qui n’avaient pas dit à leurs parents où elles étaient. Là aussi, il y avait quelque chose de nouveau : ces filles qui avaient peur de dire qu’elles allaient en manif ou à une assemblée générale (AG), qui rentraient toujours à 19 ou 20 heures… Je me souviens de l’une d’elles qui avait la hantise de ses parents, et a été arrêtée. Lorsqu’elle l’a appris, sa mère est venue crier devant le commissariat. Aujourd’hui, cette fille reste tard le soir aux AG, et ses parents ne l’embêtent pas. Les filles sont assez nombreuses, même si ce ne sont pas elles que l’on entend le plus. Quand, au PSU, les jeunes ont été arrêtés par les flics, les parents et grands-parents sont arrivés. Cela a permis de rapprocher des générations qui ne se parlaient pas forcément. Ces jeunes sont les enfants des Marocains qui ont vécu la résistance anticoloniale, les années de plomb sous Hassan II. Aujourd’hui, ce sont eux qui décident, et les parents les soutiennent. Une nouvelle génération est en train de s’organiser, et qui, tout en faisant le lien avec les précédentes, crée de nouvelles initiatives. Mais ces jeunes n’appartiennent plus aux partis, la gauche étant laminée par les divisions. C’est une révolution de la jeunesse.

Cela se traduit aussi par le rôle d’Internet, non ?

Oui, on a vu une multiplication des blogs et des sites comme www.lakom.com ou www.mamfakinch.com4, en versions française et arabe. Tout le monde a un portable, tout le monde est sur Facebook. On appelle les jeunes la « génération Facebook », ils discutent ensemble des infos, des itinéraires de manifs, etc. Ce sont eux qui donnent le rythme, l’on n’appelle même plus les médias marocains, puisque l’on sait qu’ils ne viennent que pour le sensationnel. Le summum a été atteint quand a été publié un texte sur le centre de Témara, qui sous-traitait la torture de Guantanamo. L’info avait circulé hors du pays, mais très peu à l’intérieur. Elle a été démentie par le ministre de l’Intérieur, qui a expliqué qu’il n’y avait pas de centre de torture. Du coup, les jeunes ont proposé de faire un pique-nique sur place, ce qui n’aurait pas dû poser de problème, puisque le centre n’existait pas… Le jour dit, le 15 mai, nous avions fixé le rendez-vous devant un centre commercial. Le quartier était quadrillé par un énorme déploiement policier, ceux qui font peur, avec des casques. Les gens qui arrivaient ont été chargés, dispersés, blessés. Les flics tapaient sur tout ce qui bougeait, y compris la presse internationale. Là, les médias marocains en ont parlé. Ce jour-là, le M20F a réussi à déstabiliser l’autorité. Il a prouvé que le centre existait bel et bien. Ça a participé à la remise en question du Makhzen5.

Comment se comporte la presse marocaine ?

Elle est là pour discréditer le mouvement et déformer ce qui se passe. Elle cherche à personnaliser en donnant toujours la parole aux mêmes, pour tenter d’en faire des leaders et de les couper du mouvement. La presse internationale fait pareil. En ce moment, il n’y a pas de prise de parole dans les médias, c’est dans la rue que ça se passe.

Cet été, il y a eu le vote de la nouvelle constitution. Comment cela s’est-il déroulé ?

Le roi s’est dépêché de proposer une nouvelle constitution. Nous, nous voulions une constitution populaire. Mais le roi a coopté tous les partis, y compris ceux de gauche, et a monté une commission avec des mouvements de femmes, des associations, des intellectuels, artistes, médecins, universitaires… Il leur a demandé de se rassembler et de lui écrire un projet. Dès le début, le M20F a refusé cette constitution, réclamant la démission du gouvernement. Le texte est sorti quelques jours avant les élections, et personne n’a eu le temps de le lire. Le M20F a mené une campagne politique qui se résume par : on n’en veut pas, n’allez pas voter ! Des observateurs ont filmé les bureaux, vides du matin au soir. Le 1er juillet, la constitution a été adoptée à 98,5 %, mais les gens n’ont pas participé au vote ! Le roi a déclaré tout de suite que le texte était validé. Et Nicolas Sarkozy l’a immédiatement soutenu.

Que s’est-il passé après ces résultats ?

Pour la première manif qui a suivi ces élections, Mohammed VI a mobilisé les baltagis, des gens payés qui manifestent avec le portrait du roi, exactement comme en Égypte. Ils en ont fait venir de toutes les régions. Des notables, des Mokkadems [agents auxiliaires du ministère de l’Intérieur], ou de pauvres paysans… Jusqu’à certains imams qui venaient soutenir la constitution ! Ils voulaient casser le mouvement, et ont dépensé beaucoup d’argent pour ça. Dans les manifs, nous étions cernés par ces fameux baltagis qui chantaient « Vive le roi », chopaient les jeunes et leur disaient : « Tu cries “Vive le roi” sinon on te casse la gueule. » Ils portaient des cercueils et réclamaient les têtes des militants les plus connus, qualifiés de « traîtres ». Les flics étaient là pour séparer les groupes, mais laissaient déborder pour qu’ils puissent nous agresser. Nous, depuis le début, nous avions annoncé que nous resterions non violents. On criait : « Pacifistes, pacifistes, sans armes et sans couteau ! » Ils criaient « Vive le roi ! » et on a répondu : « Vive le peuple ! » Vive le peuple, ce n’était pas évident à dire, c’était énorme ! Pour le pouvoir, la constitution devait mettre fin au mouvement. Mais le contraire s’est produit : le mouvement a continué, et avec humour.

Comment vous organisez-vous ?

Nous avons continué à nous regrouper, chaque dimanche dans un quartier différent. Casa est une très grande ville, c’est difficile de se déplacer. Mais grâce à ça, on est sortis du cercle habituel. Le M20F a commencé à s’implanter dans les quartiers populaires. Mais les AG étaient de plus en plus difficiles à tenir à cause des casseurs. On recevait des menaces, les locaux étaient saccagés, les vitres brisées… À force, les partis et syndicats ne voulaient plus nous prêter leurs locaux, et il n’y eut que le PSU pour nous soutenir. Mais, même là, ils sont venus pour empêcher le débat. Ceci dit, nous faisons toujours des AG ouvertes, où tout le monde peut parler, chacun en son nom propre. Il n’y a pas de drapeaux, pas de prise de parole au nom d’un parti ou d’un syndicat.

Qui se rend à ces AG ?

La palette est très large : des jeunes qui se retrouvent via Facebook, des étudiants, des lycéens, des chômeurs et des diplômés chômeurs, et puis des militants d’une partie de la gauche, mais pas toute. Par exemple, l’Union des forces socialistes populaires (UFSP, parti de gauche représenté au Parlement) enrage de ne pouvoir prendre la tête du mouvement. Le Parti du progrès et du socialisme (PPS) n’a pas soutenu le M20F, mais certains de ses militants n’étaient pas d’accord avec leur direction. Même chose pour le PSU. Ils ont une légitimité historique, mais là, ils connaissent des problèmes avec leurs jeunes. Il y a des militants d’extrême gauche, des femmes – mais pas d’associations de femmes –, peu d’artistes et d’intellos. Quand ces derniers s’impliquent, c’est en écrivant. Ça brasse très large : parmi les blogs les plus regardés, il y a ceux des équipes de foot de Casa. Ça traverse la société. Aujourd’hui, dans les quartiers populaires, c’est toute la famille qui descend aux manifs.

Qu’en est-il de la répression ?

Il y a des arrestations en nombre, la répression s’étend à toutes les villes du Maroc. À Safi, elle est très forte : toute la ville est en ébullition depuis la mort de Kamal Oumari, un militant du M20F tabassé à mort le 29 juin, lors d’une manifestation. Un autre gars de Safi, Abdeljallil Agadil, est détenu sans procès depuis le 1er novembre : quatre types de la DST sont venus le chercher à son travail, il a disparu pendant quatre jours, ils l’ont torturé. Ils veulent lui coller sur le dos des incidents qui ont eu lieu à Safi

par JMB

il y a plusieurs mois, il risque très lourd. Les méthodes n’ont pas changé : on transforme les militants en criminels, on les torture puis on les lâche dans la nature.

À Casa, la particularité, c’est les manifs tournantes. Les jeunes ont essayé de se structurer par quartiers, comme à l’Oukacha, où il n’y a pas d’infrastructures, beaucoup de chômage et tellement de jeunes arrêtés qu’on lui a donné le nom de la prison… Le rappeur Moad El Haqued, (« L’indigné »), est de l’Oukacha. Il assistait à toutes les manifs, a créé des mots d’ordre et est devenu très actif dans le M20F. Il a même sorti un CD… Du coup, le mouvement s’est renforcé dans ce quartier. Alors un baltagi est arrivé et a commencé à soudoyer les jeunes, à leur donner de l’argent, à les inviter dans des restos chics, etc. Mais cela ne prenait pas, alors il s’en est pris au rappeur. Le 9 septembre, Moad a été accusé d’avoir frappé ce type, a été arrêté et a disparu. La famille a pris des avocats, un comité de soutien s’est créé pour exiger un procès. Cela fait quatre mois, il est toujours reporté…

Les élections législatives ont eu lieu en novembre. Dans quelle ambiance se sont-elles déroulées ?

Cela s’est durci. Il y a eu un appel aux élections parlementaires, le pouvoir voulait que tout le monde aille voter. Il a favorisé un débat très chiant entre les partis traditionnels, que personne n’écoutait, avec deux trois thèmes lancés comme des os à ronger, comme la parité… Les militants du M20F ont manifesté et mené campagne pour appeler au boycott, ce qui leur a valu arrestations et pressions. Le jour des élections, nous avons organisé un contrôle citoyen des bureaux de vote, et avons constaté que peu de monde s’était présenté. Une faible participation qui contredit les résultats officiels. Donc, le dimanche suivant, le M20F a organisé des manifs dans plus de soixante villes pour contester les résultats. On criait : « Je n’ai pas voté, nous n’avons pas voté, nous ne votons pas pour les voleurs, finie l’heure de la servitude, c’est l’heure du boycott ! » Cela devenait une campagne pour une autre société.

Parle-nous de ce parti islamiste qui a remporté les élections.

La situation est très complexe depuis ces élections et la victoire du Parti justice et développement (PJD). Le PJD, mené par Abdelilah Benkirane, est un parti libéral islamiste modéré, « makhzenisé », qui s’est allié avec le Parti Istiklal (PI), anciennement au gouvernement avec Abbass El Fassi et sa bande de voleurs, avec le Mouvement Populaire (MP), la droite libérale makhzenienne, et avec… le Parti du progrès et du socialisme (PPS), notre parti communiste monarchiste libéral… Mais ici, plus rien ne nous étonne : droite-gauche-communiste-socialiste-islamiste-gauchiste et tous les istes que tu trouves se valent tous tant que leur dénominateur commun est monarchiste ! Toujours est-il que le PJD, chargé de constituer un nouveau gouvernement, a eu toutes les peines du monde à mettre ce beau monde d’accord, tant chacun désirait la plus grosse part du gâteau. Et pendant ce temps, le maître du jeu, Mohamed VI, a placé ses copains conseillers partout. Et rebelote, nous revoilà avec tous ceux à qui nous ne cessons de crier « Dégage ! »

En France, on parle beaucoup des Islamistes. Quels sont leurs liens avec le M20F ?

Les islamistes ont une barbe et le couteau entre les dents, c’est bien connu ! D’abord, il s’agit d’un terme générique qui ne veut rien dire, et puis ce sujet sert d’épouvantail. Dernièrement, la surprise a été le retrait du courant Al Adl Wal Ihsane (Justice et bienfaisance), un courant islamiste interdit par le pouvoir, dirigé par Cheikh Yacine et Nadia Yacine, qui était présent dans le M20F au même titre que les autres. Ce courant est important parce qu’il est bien implanté dans la population, et depuis longtemps – contrairement à la gauche… Les structures sociales font qu’il est plus facile pour eux de se retrouver, à la mosquée, lors d’événements religieux… Ils font beaucoup de travail social, alphabétisation, etc. Ils sortent des cassettes, des livres, sont actifs sur le Web où ils diffusent des films, des reportages… Avec eux, nous avions un accord tacite : on veut tous des changements dans la société. Et nous avons des points communs : on dénonce tous la corruption, les passe-droits, les abus de pouvoir. C’est d’un projet de société que l’on discute et quand il y avait des divergences, et bien nous continuions à discuter.

Pour quel motif Al Adl Wal Islam a-t-il quitté le M20F ?

Il a décidé de se retirer du M20F en arguant de ses divergences avec les autres composantes. Il peut y avoir plusieurs raisons à ce départ. Certains y voient un compromis avec le prochain gouvernement mené par le PJD. Y a-t-il eu des tractations ? Des négociations ? On attend de voir. Ce qui est sûr, c’est que la rue continue à gronder et les manifs se développent dans plusieurs secteurs, sur des problèmes concrets : dans le Rif, sur le chômage ; à Casa, les habitants se mobilisent contre la Lydec, une filiale de Suez, pour les factures d’eau et électricité de plus en plus chères depuis la privatisation de ce secteur ; dans la vieille médina, sur le droit au logement des familles qui vont être expulsées de leurs habitations. Les ouvriers agricoles se battent dans les fermes du roi contre les conditions de travail dignes de l’esclavage… Dans le Rif, les diplômés chômeurs sont en lutte depuis des semaines, matraqués, blessés, emprisonnés, mais ils poursuivent leur lutte. Ils ont été jusqu’à la frontière, à Melilla, pour demander un statut de réfugiés économiques à l’Espagne ! Évidemment, ils n’ont pu entrer, mais c’était un sacré coup d’éclat ! Bref, on n’arrête pas, et c’est le plus important.

Le 3 janvier dernier, nous avons appris la composition du nouveau gouvernement mené par Abdelilah Benkirane du PJD. Comment a réagi la population ?

La réponse est dans la rue : sitôt annoncée la constitution du gouvernement mené par Abdelilah Benkirane du PJD, les jeunes à Taza sont sortis manifester pour l’emploi. Ils se sont dirigés vers la préfecture, où ils ont subi l’intervention musclée des forces de répression. Cela s’est transformé en bataille rangée, avec plus de vingt blessés. C’était une véritable insurrection. Aussitôt, le M20F a appelé à manifester en soutien aux jeunes diplômés chômeurs de Taza. Tanger a également connu une grosse manif, dont les slogans étaient : « Pendant que le roi nomme le gouvernement à Rabat, à Taza les militaires exécutent et massacrent. » « On fait la fête dans les ministères, on massacre à Taza ! »


1 Voir « Le Baroud de Sidi Hifni », CQFD n° 62.

2 Aboul Kacem Chabbi, (1909-1934) dont le poème « La volonté de vivre » a été chanté lors des manifs en Tunisie : « Lorsqu’un peuple veut la vie, force est au destin de répondre / Aux ténèbres de se dissiper et aux chaînes de se rompre… »

3 Premier groupe industriel et financier privé marocain, holding qui investit dans différents domaines d’activité dont les mines, l’agroalimentaire, la grande distribution et les services financiers.

4 Mamfakinch : « On ne lâchera pas ».

5 Terme qui désigne l’État marocain et ses institutions régaliennes, le système royal dans son ensemble.

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